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Psychanalyse du sabot

Par Justine Sebbag

Jadis attribut de la classe agricole, le sabot a longtemps traîné derrière lui une odeur de terre labourée qui collait au soulier. Mais les temps changent et les stars et influenceuses ont redoré son blason mode, prônant son style champêtre si rafraîchissant. Désormais familier du bitume et des posts Instagram, il a une communauté de fans bien enracinée qui l’a érigé au rang de must-have. Mais même en matière de sabot, il y en a pour tous les goûts et votre modèle préféré en dit probablement plus sur vous que vous ne l’imaginez.

Bien qu’il soit désormais de toutes les garde-robes, le sabot n’a pas toujours eu la cote. Apparu au XIIIe siècle aux Pays-Bas, il est originellement conçu en bois, ce qui le rend relativement lourd et bruyant. À l’époque, on ne le revêt pas pour son esthétisme mais pour son aspect protecteur. Ainsi, ouvriers, artisans et agriculteurs le portent pour travailler. Il faudra attendre trois siècles avant que le sabot ne devienne un soulier populaire au temps d’Anne de Bretagne, épouse de non pas un mais deux rois de France, qui fût surnommée par quelques irrévérencieux « la duchesse en sabots ». Outre-Atlantique, le sabot fera une arrivée fracassante dans les années 1970. Agrémenté d’un talon, il apparaît en couverture des magazines de mode ainsi qu’aux pieds de Freddy Mercury, chanteur emblématique du groupe Queen. Le sabot entre ensuite dans la culture populaire à travers le film Clueless (1995) et la série Sex and the City (1998), avant de se retrouver chaque saison sur les défilés des plus grandes maisons (Viktor & Rolf, Chanel, Balenciaga, Louis Vuitton…). Et si l’on pensait son ascension – aussi irrésistible qu’imprévue – terminée, c’était sans compter sur les micro-tendances dont nous abreuvent quotidiennement les réseaux sociaux Instagram et TikTok. Maintenant que le sabot se décline sous tous les styles, reste à savoir lequel obtient vos faveurs et ce que cela révèle de vous. 

Le sabot Boston de Birkenstock 

Pendant des années, le modèle phare de la marque allemande était l’Arizona, une sandale plate à lanières, parfaite pour les escapades estivales des hippies aisés, du Cap Ferret à Ibiza. Un confinement plus tard, alors que le monde entier est sous cloche et que la mode se résume au confort, la mule plate Boston se hisse à la première place des recherches sur internet, ce qui en fait la chaussure de l’année 2021 d’après le rapport annuel de Lyst. Ce sabot plat en daim, qui se porte aussi bien en intérieur qu’en extérieur, a conquis d’abord les influenceuses puis leurs communautés. Sobre, élégant et confortable, ce modèle n’est pourtant pas le plus abordable. Pour s’offrir une paire de Boston, il faut débourser une centaine d’euros. C’est le prix à payer pour imiter les clean looks immaculés des influenceuses et avoir le sentiment de mener une vie aussi ordonnée qu’un feed Instagram. Dupliquée en une multitude de copies à bas prix, la Boston envahit avec ses émules le monde entier. De quoi frôler l’overdose de conformisme. A réserver donc à celles et ceux qui voient leur dressing comme une valeur refuge et limitent les prises de risque stylistiques.   

Le sabot Ugg Tasman 

Suivant le même destin que la Boston de Birkenstock, les chaussures Ugg Tasman (version chausson) sont en rupture de stock depuis que Bella Hadid les as arborées, avec un mini-short blanc et une veste de moto en cuir oversized, dans les rues de New York en septembre dernier. Mais le modèle qui nous intéresse ici est celui de la Tasman en caoutchouc qui ressemble à s’y méprendre à un sabot de jardinage. D’ores et déjà validée depuis quelques années par les citadins à la main verte, la Tasman s’avère être le soulier idéal pour flâner d’un jardin partagé à une ferme urbaine. Elle est symbole de bonne conscience écologique et de gentrification. Contradictoire certes, mais ancré dans son temps, le sabot de jardinage ajoute un petit je-ne-sais-quoi de coolitude à toute tenue en apparence banale. Le summum étant de le porter en faisant tout sauf du jardinage. 

Le sabot Crocs x Balenciaga 

Impossible d’avoir loupé le retour en force de la Crocs, cette chaussure orthopédique adoubée par le secteur médical pour son confort inégalable. Tombé malgré lui dans le spectre du cool en 2016, ce sabot n’est pas fait de simple plastique mais de croslite, une matière mise au point spécialement pour sa fabrication. Forte de ses collaborations avec des stars de la musique telles que Post Malone, Bad Bunny ou Justin Bieber, la marque Crocs a conquis un nouveau marché, ce qui n’a pas échappé au regard affûté des créateurs de mode. Ainsi après Christopher Kane, c’est Demna, directeur artistique de la marque Balenciaga, qui s’associe à Crocs et propose une version à plateforme de l’ugly shoe (horrible chaussure, en français) pour son défilé printemps-été 2018.  Posséder une paire de Crocs x Balenciaga suggère que vous êtes prêt à tout pour suivre la hype, jusqu’à vous approprier le vestiaire des classes populaires pour en faire une esthétique digne de la weird girl branchée que vous aspirez à devenir.

Le sabot vache Miista 

Si vous pensiez que le motif vache était réservé aux tapis bon marché ou que son heure de gloire était passée, détrompez-vous, il fait son grand retour. Aperçu sur les tenues des it-girls Dua Lipa ou Emily Ratajkowski en imprimé all-over, le motif bovin se porte de la tête aux pieds grâce à la marque Miista. Fondé à Londres en 2010, le label connaît un succès retentissant grâce à son footwear au design excentrique où les coutures sont apparentes et les semelles carrées. Fabriqué en Espagne, le sabot vache Miista vous garantit un look pointu et écoresponsable. Vous avez probablement une tendance à l’achat compulsif mais vous sortez du lot car, vous au moins, vous n’allez plus chez Zara. 

Le sabot Kaah Camper 

La marque préférée des DA auto-proclamés n’aurait pu passer à côté de la tendance du sabot. Récemment installé à Majorque, où la marque a vu le jour en 1975, le créateur finlandais Achilles Ion Gabriel revisite le sabot avec un design élégant et minimaliste. Dans un style somme toute plutôt classique, ce soulier tire son épingle du jeu grâce à son épaisse semelle ondulée. Ce détail aux airs surréalistes est probablement ce qui poussera à la consommation tout aficionado d’architecture brutaliste. De la boulangerie du coin au cours d’initiation à la céramique, le sabot Kaah vous donne le sentiment d’être supérieur et scandaleusement avant-gardiste. On a compris, vous n’êtes pas comme les autres.