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Parfums en danger 

Par Sirine El Ansari

Dans un secteur où chaque note olfactive compte, les industriels de la parfumerie font face aux défis posés par les pénuries d’ingrédients, qu’elles se produisent en France ou à l’étranger. Bien que ces problèmes restent pour l’instant discrets, la filière se prépare aux enjeux sociaux et environnementaux qui l’attendent dans les années à venir.

Que se passera-t-il lorsque la pénurie de patchouli privera des millions de fans de « Shalimar » de leur parfum préféré ? Le précieux élixir, sur le marché depuis 1925, utilise la plante tropicale comme note de fond, aux côtés de la vanille, de la fève tonka et de l’iris. Bien que cet ingrédient phare des parfumeurs ait une clientèle fidèle prête à payer le prix fort pour ne pas se priver de sa fragrance favorite, il reste une composante fragile de l’industrie de la parfumerie. La culture à grande échelle est exclue dans le cas du patchouli, une plante fragile qui nécessite des conditions météorologiques spécifiques pour une production réussie. Elle se développe dans de petits champs et exige une attention minutieuse. Seulement en 2008, une crise touche le secteur en Indonésie : les agriculteurs n’y trouvent plus leur compte et la culture du patchouli est délaissée. Fatalement, le cours de la plante a grimpé en flèche, fragilisant d’autant plus le marché. Cet épisode traumatique a confronté les industriels à deux problèmes intimement liés : le réchauffement climatique et l’exode rural des travailleurs, qui impactent non seulement la culture du patchouli en Indonésie mais aussi celle de l’ylang-ylang à Mayotte, du vétiver en Haïti, ainsi que de la rose à Grasse, qui fait face à de grandes périodes de sécheresse.

Les cueillettes erratiques et les cours de plus en plus spéculatifs forcent aujourd’hui les fabricants à penser l’industrie du parfum différemment.  Plus question de se lancer dans des formulations olfactives sans penser à la durabilité de production de leurs composants: on prend aujourd’hui en compte les conditions climatiques pour éviter la catastrophe dans dix ans. Firmenich, l’un des géants mondiaux de l’industrie des arômes et du parfum, a placé sa confiance dans la ferme verticale Jungle pour la production de muguet, une première pour ces fleurs qui n’éclosent que brièvement à la fin avril et dont l’extraction naturelle était jusqu’à présent impossible : “L’essence de muguet existait déjà à l’état synthétique, mais pas à l’état naturel, nous explique Gilles Dreyfus, le fondateur  de Jungle. Le cycle de floraison des clochettes est de dix jours dans la nature, ce qui est beaucoup trop court pour une campagne d’extraction qui s’étend sur deux à trois mois.” C’est grâce à un environnement contrôlé que Jungle est désormais capable de fournir du muguet toute l’année. “On a su trouver la bonne recette en termes de nutrition et de photosynthèse. Les métabolismes secondaires de notre muguet, qui sont ​les composés volatils qui donnent l’odeur aux fleurs et aux plantes, sont comme ce que l’on trouve de mieux dans la nature.” Pour Gilles Dreyfus, la ferme verticale ne connaît aucune limite en termes de culture. Lorsqu’on lui demande s’il est utopique d’imaginer cultiver de la vanille en France dans un environnement contrôlé, le PDG se refuse à exclure d’autres ingrédients de parfumerie plus exotiques : “Agronomiquement, tout est possible.” Mais si l’idée peut paraître charmante a priori, cette question n’est pas vraiment d’actualité chez les industriels qui, pour des raisons de rentabilité, favorisent le maintien de la production d’ingrédients entrant dans la composition des parfums dans des régions où la main-d’œuvre est moins coûteuse. Le sens du business d’abord.