Serait-ce pour usurper les odeurs suaves émanant des bienheureux que nous nous aspergeons de parfums divins ?
Cette senteur qu’elle seule exhalait depuis des années et qui était telle qu’une quintessence des aromates de l’Inde et des épices du Levant s’évanouit et fut remplacée par une autre et celle-là rappelait, mais épurée, mais sublimée, le parfum de certaines fleurs coupées fraîches. […] elle expirait, au plus fort de l’hiver, des effluves tantôt de rose, tantôt de violette et tantôt de lys.” Rien d’étonnant à ce que J. K. Huysmans, grand prêtre de l’écriture olfactive, ait consacré après sa conversion au catholicisme une hagiographie exaltée à la plus odorante des saintes : Lydwine de Schiedam, “cassolette vivante” exhalant “les aromates perdus de l’Éden” bien que le corps de la grabataire hollandaise ne fût qu’une masse de plaies suppurantes. Miracle ? Hallucination collective ? Altération physiologique due au jeûne ou à l’extase mystique ? Certains saints dégagent en effet une odeur exquise, démontrant que la pureté de leur âme a soustrait leur corps à la corruption, destin pourtant de tout vivant. Plus précisément, 30 de leur vivant, 103 au moment de leur mort et 347 longtemps après leur inhumation, selon le recensement de l’historien suisse Waldemar Deonna. Lequel, en rédigeant Εγοδια, l’odeur suave des dieux et des élus en 1939, n’aurait pas été autrement étonné de voir sa liste s’allonger encore, tant il était persuadé de la persistance des croyances antiques dans les Temps modernes. Témoin, le Padre Pio, capucin italien dont le doux parfum se répand encore auprès des fidèles, bien qu’il ait franchi la porte de saint Pierre en 1968. La preuve en un pschitt pouvant s’acquérir pour la modeste somme de 19,90 € depuis la boutique en ligne de Lourdes, avec le Parfum Padre Pio. Le site ne précise pas, hélas, lesquelles des odeurs figurant à la palette du saint homme ont inspiré cette eau bénite. Rose, tabac de pipe, fleur d’oranger, pain frais, violette, encens (Lutens, sors de ce corps !). Autant de senteurs suaves que partagent bienheureux et parfumeurs, et qui embaument des compositions dont les noms rappellent, même aux mécréants, les liens millénaires unissant le sacré au sent-bon.
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*