Des paysages en forme d’oiseaux, des étendues violettes, vertes ou roses, des petits bouts de plages et d’immenses terres perdues… On peut entrevoir beaucoup de choses dans le travail de Lou Ros. Flirtant entre abstraction et figuration, le peintre joue avec la couleur, la texture et la lumière, s’inspirant des reflets naturels de son environnement. À la revendication matraquée, Lou, lui, préfère la douceur de la suggestion : si l’on s’émerveille devant les nuances d’un plumage lorsqu’il est peint, pourquoi ne pas s’extasier devant le volatile qui l’a inspiré ? Célébrant la beauté de la nature, Lou Ros offre une parenthèse de préservation magique, là où l’homme ne peut s’empêcher de détruire.
La nature tient une place très importante dans ton travail. D’où te vient cet amour de la faune et de la flore ? Et comment cela s’exprime-t-il dans tes peintures ?
J’ai essayé de parler de ce sujet après avoir fait beaucoup de portraits, en essayant simplement de choisir des images qui me plaisaient parce que je les trouvais jolies. Avec le temps, j’ai voulu revenir à des sujets qui me parlaient plus. J’ai donc commencé à faire de grands paysages dans le but de montrer une évolution et un changement de ce qui peut arriver, de ce qui est déjà arrivé. Un désert a pu être jadis une grande vallée pleine d’arbres ! Je travaille sur des choses quasi abstraites mais on peut y voir l’horizon, un lac, des choses comme ça. Je commence à travailler dessus, puis je les recouvre, pour qu’on puisse voir par transparence ce qu’il y a dessous. Exactement comme lors d’une fouille archéologique où l’on découvre qu’il y avait d’autres choses sous un désert, sous un lac ou sous une mer, il y a très longtemps.
Pourquoi représenter la nature ? A-t-elle plus de sens pour toi que le portrait ?
J’essaie de sensibiliser les gens à tout ce qui nous entoure, et à quel point on piétine un peu la nature, mais sans les dégoûter. De la même manière que pour faire goûter la cuisine végétarienne, je vais plutôt essayer de faire un très bon plat sans viande que la personne va apprécier. J’essaie de montrer à quel point la nature est exceptionnelle et à quel point il y a des couleurs sublimes tout autour de nous. Parfois, les gens me disent que j’invente des couleurs intéressantes, mais non, je ne fais que reproduire ce que je vois. Après je le fais différemment. Parfois la mer que je peins peut être extrêmement foncée et mes ciels sont très rarement bleus, mais j’essaie de faire des captures d’écran, ou de prendre des photographies pour m’inspirer.
Comment passes-tu du figuratif à l’abstraction en travaillant les couleurs et la transparence ?
C’est une anecdote assez marrante. Quand j’ai commencé il y a 18, 19 ans, j’achetais la peinture la moins chère et elle était très transparente. Et maintenant, quand on me propose de la très bonne peinture, je n’arrive presque pas à travailler avec parce que ça recouvre entièrement ce qu’il y a dessous ! Ce sont des choix qui se sont faits avec le temps, par rapport à des choses très techniques. Après la figuration, l’abstraction… Sur un grand paysage, je peux vraiment aller sur quelque chose de limite abstrait, mais quand j’essaie de travailler sur les oiseaux en voie d’extinction, je vais plutôt aller chercher des choses qui correspondent à la figuration. Pour essayer de sortir un peu du carré ou du rectangle habituel, j’ai commencé à faire des découpes d’oiseaux et j’ai pu travailler de la même manière que sur mes paysages dans l’oiseau.
Ta pratique de la peinture change-t-elle selon le format ?
Le format des oiseaux quasi à échelle humaine, c’était pour rappeler l’importance d’une vie, peu importe qu’elle soit animale ou humaine. Quand on est face à un oiseau qui fait la même taille que nous, on comprend un peu plus. C’était pour les mettre à égalité avec nous. Pour les paysages, ça me semblait surprenant de faire de tout petits paysages, même s’il y a des gens qui arrivent à faire des choses magnifiques de cette façon. Donc j’ai commencé par faire seulement des très grands formats (300x200m). Et ensuite, j’ai fait encore plus grand pour que ça soit quelque chose de très immersif ! Ça faisait sens pour moi, qu’on puisse vraiment faire un 360 degrés dans un paysage, un peu comme quand on est dans la forêt, ça ne s’arrête pas, ce n’est pas défini. Je voulais sortir de la fenêtre, du détail. Après, je me suis rendu compte que si tu fais 50 pièces qui font 40 mètres, ça a moins d’importance parce que c’est la normalité. Du coup, je trouvais intéressant de faire des petits paysages ou des zooms de chaque pièce. Ça permet aux petits de donner de l’importance aux grands et vice versa. J’avais fait une exposition avec uniquement des grands formats et ça faisait un peu trop “j’ai voulu faire que du grand” alors que finalement le petit apporte d’autres détails. Ça se marie bien, et je ne ferai plus l’un sans l’autre.
Tu disais “le petit donne de l’importance au petit et le petit donne de l’importance au grand”. Y a-t-il une dimension allégorique ou métaphorique entre l’échelle humaine et celle de la nature dans ton travail ?
J’essaie de vraiment rappeler que même une chose très petite peut être très importante, un peu comme les abeilles. Après, je tente de ne jamais être dans le jugement ou dans quelque chose de péjoratif, donc je le dis d’une manière assez légère. On est dans une période où les gens aiment la couleur, les choses pas trop négatives. On a déjà un quotidien assez difficile, donc j’essaie de ne pas en rajouter une couche, juste de laisser les gens regarder quelque chose qui m’intéresse moi. Il y a des gens qui viennent aux expositions, qui ne comprennent pas, ils sont sur un autre sujet, et ça ne me dérange pas du tout, du moment que ça parle un peu. Avec les oiseaux, c’est pareil qu’avec les paysages : souvent, je reprends juste des teintes que je vois sur les oiseaux. Une fois, une maman est venue avec son enfant et m’a dit : “C’est vraiment exceptionnel les couleurs que vous avez inventées !”. Je lui ai répondu : “Vous pouvez regarder la photo, c’est la nature qui fait des trucs de ouf !” Donc voilà, j’essaie d’amener ça.
Exposition Waall 6 du 17 au 20 octobre curatée par Togaether
à la Galerie Au Roi (73 rue de la Fontaine-au-Roi, Paris 11).
Exposition personnelle au printemps 2025
à la galerie Romero Paprocki (8 rue Saint-Claude, Paris 3).
Instagram : Lou Ros
Vidéaste : Ervin Chavanne
Journaliste : Zoé Terouinard
Merci au resto Dame pour l’accueil