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L’oeil photographique de l’artiste peintre Thomas Lévy-Lasne

Par Jeanne de Fouchécour

Au premier abord, les peintures de Thomas Lévy-Lasne trompent l’œil et s’apparentent à des clichés photographiques. Ce n’est qu’après quelques secondes que l’on découvre les traits du pinceau ou du fusain, trahissant l’illusion et dévoilant là tout le génie de l’artiste. La série “Fête”, mise en avant ce mois-ci dans la rubrique Karte Blanche de Citizen K, dépeint et fige le chaos poétique qui se cache au milieu de nos soirées.

Citizen K : Comment décrirais-tu ton esthétique ?

Thomas Lévy-Lasne : Le réel et sa banalité m’intéressent beaucoup : j’essaie de le mettre en scène, afin de trouver une présence très simple dans le tableau. Je pense que l’un des problèmes de l’humanité c’est de ne pas arriver à être dans le moment présent. Je passe beaucoup de temps à peindre des choses très simples pour montrer qu’elles sont intéressantes.

Citizen K : Quel est ton processus créatif ?

Thomas Lévy-Lasne : Je peins le réel à partir de photographies. Je me balade, je vis des choses et je prends des photos. Ensuite, j’en fais des montages photos que je retranscris en peinture.

Citizen K : Comment passe-t-on d’une photo instantanée à une toile ?

Thomas Lévy-Lasne : Une photographie c’est comme un tableau ou un dessin, ce n’est pas la réalité, mais bel et bien l’angle d’un point de vue particulier. J’ai tendance à prendre plusieurs photos et à en faire des montages photographiques sur Photoshop, pour arriver à avoir un ensemble de sensations et non pas la vraie réalité. Je m’enfonce beaucoup dans les textures et les matières des photos, et j’apprécie d’être dépassé par la réalité.

Citizen K : Tu peins des toiles très réalistes. Es-tu aussi touché par l’art abstrait ?

Thomas Lévy-Lasne : J’apprécie énormément les artistes d’art abstrait du XXe siècle car ils sont beaucoup plus techniques et possèdent un plus grand sens de la matière que les figuratifs du même siècle. Et finalement, l’art abstrait est sûrement plus facile à interpréter, car on peut y projeter des choses dans tous les sens. Et peut-être que quand tu vois un tableau figuratif, tu te sens coincé dans l’histoire. Mais c’est une manière de penser qu’il faut dompter pour y trouver du plaisir par la suite.

Citizen K : Quelles sont tes influences en photographie ?

Thomas Lévy-Lasne : Le début de la photographie est fascinant pour moi. La photographie à plus de 200 ans d’existence, et à son commencement, les photographes voulaient montrer qu’ils pouvaient être aussi forts que les peintres, avec une multitude de montages incroyables. Et il y a des photographes des années 1990 que j’apprécie énormément, comme Jeff Wall et Gregory Crewdson, avec des compositions photographiques similaires à celles de peintures. J’ai longtemps été jaloux de Jeff Wall, qui allait à contre-courant du mouvement des peintres des années 1990 avec ses photographies figuratives.

Citizen K : Télévision, cinéma, écriture, critique. Tu sembles toucher à tout. D’où vient cette curiosité ?

Thomas Lévy-Lasne : Je suis dans mon atelier 90% du temps (rires) et je n’aime pas spécialement prendre de vacances. Mais parfois, j’aime sortir de l’atelier pour faire quelque chose d’autre, quelque chose de motivant et de challengeant. J’écris pour Citizen K tous les trois mois, j’anime une émission Twitch chaque dimanche soir dans laquelle j’interviewe des peintres, j’ai également écrit des films et réalisé un court-métrage. Il y a plein de choses que je ne peux pas faire en peinture que je peux faire au cinéma, notamment des blagues. L’écriture du film Victoria de Justine Triet avec Virginie Efira et Vincent Lacoste était un super moment pour raconter des blagues.

Citizen K : Quel est ton rapport au digital ?

Thomas Lévy-Lasne : On a vécu la transition avec Internet, l’arrivée des ordinateurs et des smartphones. Et moi, ça m’a intéressé de la mettre en scène dans mes tableaux et de trouver de nouvelles postures contemporaines, comme une tête plongée dans l’écran de son iPhone, ou le réveil de quelqu’un, les yeux rivés sur son fil d’actualité Facebook. Ce sont des positions contemporaines qui m’intéressent beaucoup.

Citizen K : Parle-nous un peu de Fête, l’œuvre mise en avant ?

Thomas Lévy-Lasne : Cette œuvre fait partie d’une série de 94 aquarelles à ce jour. Ce sont des aquarelles de soirées, où je me suis rendu complètement saoul. Je m’amuse en étant un peu bourré et en prenant des photos dans tous les sens, sans aucune volonté et de manière complètement bordélique. J’ai quand même développé un œil expert, et certains détails comme ceux d’une robe à sequins ou d’une table dégueulasse attirent mon attention. Pour cette série, c’est aussi une technique un peu particulière car c’est de l’aquarelle sur papier : le blanc des reflets lumineux est en réalité le blanc du papier, donc je n’ai pas le droit à l’erreur, il n’y a pas de repentir possible. Ce qui m’intéresse avec la fête, c’est que c’est l’une des rares traditions humaines qu’on s’autorise encore à faire au premier degré. Et les gens pensent que je passe beaucoup de temps à faire la fête, alors que je suis souvent à l’atelier en train de peindre la fête.