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LIBRE COMME KADITANE GOMIS

Par ALEXANDRE PAUL DEMETRIUS

Skieur freestyle atypique, du fait de ses origines métissées, Kaditane Gomis est en passe de devenir l’un des meilleurs représentant Français de la discipline, après avoir été très tôt considéré comme son grand espoir. Issu de la nouvelle génération des freestylers, il vise désormais le toit du monde, après avoir remporté un titre de champion d’Europe, vécu comme un véritable déclic. 

Il faut se lever tôt, et faire de nombreuses heures de routes, pour espérer rencontrer Kaditane Gomis. Il faut surtout monter très haut, là où la neige est assez abondante pour être skiée, à une période de l’année où les stations de ski ne sont pas encore ouvertes. C’est là que nous attend Kaditane, impérial dans son élément. L’adolescent que l’on pouvait découvrir dans les premiers reportages qui lui étaient consacrés, a laissé place à un jeune adulte. Sous le feu des projecteurs avant même d’avoir remporté un titre majeur, c’est désormais un skieur plus mature qui revient sur un parcours très tôt médiatisé. « Je pense que c’est désormais bénéfique de l’être, mais quand c’est arrivé à mes début je l’ai très mal géré. Je n’étais pas du tout prêt car je n’y avais jamais été confronté, même si j’avais conscience de ce que cela pouvait être. Je n’avais donc pas le mental et la maturité. » explique le skieur qui se remémore un épisode traumatisant ayant altéré ses performances sportives. « En 2020, l’année des jeux olympiques de la jeunesse, j’ai participé à un reportage pour une grosse émission. L’équipe de tournage est donc venue chez moi en novembre alors que la compétition était en janvier. Quand tu as 16 ans et qu’on rentre dans ton intimité pour filmer ta famille, tes entraînements, ta maison, et même ta compétition, ce n’est pas si évident à gérer. Ce n’est pas la faute du média en question, mais c’est la première fois dans ma carrière ou j’ai vraiment ressenti rater une compétition. Ce que je savais faire à la perfection je le ratais, alors que sans les caméras, je skiais à la perfection ». 

PROFIL ATYPIQUE

Désormais rompu à l’exercice médiatique, pour lequel il confie s’être construit une carapace, Kaditane Gomis, a en effet très vite été considéré comme une star en devenir. Talent précoce, ses performances sportives mais aussi son profil particulier, ont tout de suite séduit les médias. Sénégalais par son père et français par sa mère, il n’a pas le profil type d’un montagnard. Il évoquerait même plutôt la ville, alors qu’il a grandi du côté d’Annecy, loin du tumulte des grands ensemble. Cela n’a cependant pas toujours été évident, notamment parce qu’il pratique un sport de montagne. « J’ai eu quelques difficultés » confesse-t-il avant de se reprendre « mais pas vraiment en fait, car je ne me suis jamais écrasé par rapport à ma couleur. Cela m’a même plutôt forgé. Après on ne va pas se mentir, à la montagne, le ski est un sport qui compte très peu, voire pas du tout, de profil comme le mien. J’ai pu le ressentir, en revanche je n’ai jamais été mis de côté. On m’a toujours rappelé ma différence mais on ne m’a jamais mis à l’écart. Mes performances permettaient que je sois respecté. Il m’est quand même arrivé de skier avec une cagoule car je ne voulais pas qu’on dise – il est bon ce skieur pour un noir – mais ­— il est bon ce skieur. J’ai d’abord commencé par le ski alpin que je pratiquais en même temps que le football et la danse Hip Hop ».

TEL PÈRE TEL FILS 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas du côté de sa mère que vient son attrait pour le ski, mais du côté de son père, Alphonse, qui représentait l’équipe du Sénégal en ski alpin lors des jeux Olympiques d’Albertville de 1992. Issu d’un quartier de Marseille, d’abord habité par le ballon rond, ce dernier est pourtant devenu skieur de haut niveau, puis s’est installé aux pieds des pistes, où il est devenu moniteur de ski par la suite, en plus d’être entraîneur de football. Il n’a cependant jamais forcé son fils à suivre ses pas, mais l’a très tôt initié à la discipline. « Le fait de m’avoir mis sur des skis avant même de savoir marcher, m’a évidemment aidé » se remémore Kaditane « son regard d’ancien athlète lui a aussi permis de savoir comment appréhender un sportif de haut niveau. Paradoxalement il a toujours été distant par rapport à ce que je pouvais faire sur des skis. Il a compris que je n’aimais pas qu’on rentre dans mon cadre sportif ». Chez les Gomis, le sport est une affaire de famille, surtout dans le football, où le nom fait échos aux exploits de Bafétimibi, ex attaquant star de l’olympique Lyonnais et de Galatasary. « J’ai une famille pas mal tournée sur le ballon rond, Bafétimibi Gomis en est membre, alors son nom m’a toujours suivi, mais je ne l’ai jamais rencontré. Mon père en revanche le voyait souvent à Marseille quand il venait voir ses proches au quartier ». 

EN ROUTE POUR LES TITRES

Pour pratiquer aussi bien le football que le ski alpin, Kaditane aurait très bien pu choisir le premier plutôt que le second. Le ski alpin lui plaisait, mais il appréciait avant tout jouir d’une certaine forme de liberté sur la neige. « Je faisais tout ce qu’il ne fallait pas faire. Je sortais souvent des pistes, je sautais des bosses sur le côté, je m’éclipsais des entraînements afin d’exécuter des sauts. Mon père m’avait dit  ‘avant de faire du ski freestyle tu dois passer par l’alpin’. Et puis un jour, il y a eu une compétition de freestyle à laquelle j’ai participé sans que mes parents soient au courant. J’ai terminé troisième, je suis monté sur le podium, et à l’annonce de mon nom, ma famille à rappliqué sans comprendre ce qu’il se passait ». Après ce premier titre, Kaditane comprend où est sa voie. Il intègre le club de ski freestyle de la Clusaz et fait un trait sur le ballon rond. La suite c’est une ascension rapide, cependant contrarié par une blessure « je pensais que j’avais le genou cassé, que j’étais perdu pour le ski. Mais j’ai eu de la chance, car ma fracture du plateau tibiale n’avait pas touché mes ligaments. Je me suis donc rétabli assez vite, mais j’ai quand même fait une saison blanche car j’avais peur, je n’étais pas bien ». Lors d’un tournage vidéo de fin de saison, à la faveur d’un lâcher prise, il retrouve toutes ses sensations. Le chemin des compétitions s’ouvre alors de nouveau à lui, avec un titre de champion d’Europe glané dans la catégorie slope style. L’objectif est désormais la coupe du monde, mais plus que de titres, il est avant tout question d’une passion pour le ski freestyle. « J’aime l’adrénaline et l’esprit de performance qu’il me procure. J’aime aussi la sensation d’apprendre. Dans notre sport, les progrès sont en effet visibles très rapidement. Mais ce que j’adore le plus, c’est l’esprit de communauté qui règne dans notre discipline. On côtoie aussi régulièrement des skieurs étrangers, avec qui on finit par former une famille. Tout le monde se connaît. On est certes des concurrents, mais on est aussi des potes, alors on s’encourage mutuellement. Sportivement, le ski freestyle n’est pas animé par un esprit de compétition malsain ». Une bonne raison pour évoluer le plus longtemps possible dans ce milieu, avec, à la clé de nombreux titres. 

Photo : Christian Lartillot