Pour la saison prochaine placée sous le signe de l’opulence et de l’individualité, les marques indépendantes ont souvent mis les grandes griffes au défi de la créativité.
Moments marquants.
LOUIS VUITTON
Retour vers le futur
Ceux qui avaient enterré le streetwear sur l’autel du style ont pu compter sur Pharrell Williams (secondé pour l’occasion par son ami Nigo, par ailleurs directeur artistique de Kenzo) pour leur donner tort et sortir un respirateur en or 24 carats, histoire de ressusciter la bête. Le tandem, connu pour avoir imposé ensemble et séparément ce style dans les années 90, remet le couvert chez Louis Vuitton. On retrouve donc bon nombre de signatures déjà vues les saisons précédentes (le pantalon flare, le néo-camouflage, le teddy…) augmentées d’une humeur Billionaire Boys Club souvent traduite entracksuits baggy, motifs abstraits et parkas grand luxe. Cerise(s) sur un gâteau déjà bien garni, un rose sakura qui éclaire de nombreuses pièces y compris les boutons d’un manteau très sartorial et un thème biker à Shibuya suprêmement désirable.

VALETTE STUDIOS
Réductionniste
À l’opposé du mouvement général volontiers maximaliste, Pierre-François Valette se concentre sur une silhouette sharp, évoquant les années berlinoises de David Bowie. L’attention donnée à la coupe et au tombé des tissus sied parfaitement au propos. La chemise se porte avec une cravate coordonnée, le trench-coat est bien évidemment unisexe, le pied de poule se désembourgeoise et le tout se décline uniquement en noir, blanc et presque cinquante nuances de gris.

EGONLAB
Glamour nocturne
Le défilé du duo Florentin Glemarec/Kevin Nompeix s’affirme comme LE rendez-vous incontournable des collections avec leur meilleure collection à date. Ils prouvent à nouveau que le tailoring peut être une discipline moderne qui ne s’oppose en rien aux attentes de leur jeune public. Aux manteaux longilignes répondent les manches évasées des vestes et blousons. La fluidité d’une jupe longue taillée dans le biais côtoie le sex-appeal du cuir noir. Un sens du glamour qui fait mouche à chaque passage. À admirer et à porter sans réserve.

LOUIS GABRIEL NOUCHI
Masculin pluriel
Le créateur français, qui a le vent en poupe, explore comme chaque saison un roman pour donner l’humeur de son vestiaire évolutif. Pour l’automne/hiver 2025 c’est sur le 1984 de George Orwell qu’il a jeté son dévolu, traduisant en vêtements sa lutte personnelle et stylistique contre la violence de la société actuelle. Au-delà de ce parti pris, il conjugue à merveille les opposés : le presque nu (jerseys tech transparents près du corps et body en maille) et le très couvert (maxi-manteaux et couvertures protectrices), le fluide et le structuré, le mat et le brillant, etc. Épinglés dans cette proposition plus que convaincante, le blouson et le manteau façon poulain figurent déjà dans les musts have de la saison à venir.

RICK OWENS
Héroïque
Ni scénographie grandiloquente ni procession arty, le défilé est avant tout la démonstration de ce que le créateur fait de mieux : des vêtements. Cette approche réaliste (une des collections signées Rick Owens les plus portables de ces dernières années) ne masque en rien une vision d’avant-garde et un travail considérable sur les formes, matières et volumes. La question de la couleur ayant été réglée (du noir, du gris, du blanc cassé), Rick Owens expérimente de nouvelles propositions et silhouettes avec le brio qu’on lui connaît. David Bowie sert à la fois de référence sonore avec le titreHeroes et de figure tutélaire pour un dandysme contestataire. Micro-blousons, manteaux boxy, et burnous épaulés surplombent un jeu de jambes évasé à l’extrême. Le créateur californien fait à nouveau appel à Matisse di Maggio pour des pièces lacérées en latex naturel façon linguine couture mais aussi au jeune Victor Clavely pour une relecture texturée et spectaculaire des fameuses Kiss boots. Dernière citation, et non des moindres, les pièces zippées rendent hommage à Blixa Bargeld, leader du groupe Einstürzende Neubauten.

DIOR
Absolument couture
Kim Jones, que la rumeur dit sur le départ, livre le meilleur de lui-même pour une collection qui fera date, autant pour sa perfection d’exécution que pour le défilé qui rappelle certaines mises en scène de Robert Wilson. Le directeur artistique puise son inspiration dans la collection Christian Dior Haute Couture automne-hiver 1954/1955 et sa ligne en H. Le résultat est à la fois rigoureux et spectaculaire. Un nœud très 50s vient orner le coude, le dos ou la pointe de boots du soir, le volume des manteaux se déploie jusqu’à une version kimono dignement ceinturé, la blouse longue en satin de soie et le twinset col bateau en trompe l’œil citent un univers féminin sans jamais tomber dans l’outrance ou les effets faciles. La bande-son, dramatique à souhait, propose un remix de « Meurtre dans un jardin anglais » signé de son compatriote Michael Nyman. Du rose pâle au noir absolu et de la première à la dernière note, la partition de Kim Jones ne touche qu’à la perfection.

COMME DES GARÇONS HOMME PLUS
Army Dreamers
Pour Rei Kawakubo, chaque collection est un manifeste. La dernière en date ne fait pas exception avec un très poétique opus pacifiste. La créatrice culte, née au Japon en pleine deuxième guerre mondiale, concentre son travail sur l’uniforme militaire, de la veste officier au paletot du poilu. Par la magie (apparente) du patronage et mille jeux de boutonnages, ils se transforment en autant de propositions diverses. Outre le kaki et le noir de rigueur, un étonnant color blocking est également au rendez-vous. Sur la tête de ses beaux et tristes conscrits, les casques deviennent autant de jardins fleuris ou turbans couture grâce au talent de Nobuki Hizume. La voix rauque de Nina Simone arrache un sanglot aux derniers spectateurs qui auraient par miracle résisté à cette vague d’émotion.

WILLY CHAVARRIA
Paris Latino
Pour le dixième anniversaire de sa griffe éponyme qui défile habituellement à New-York, le créateur a réalisé un énorme coup de com’ avec son premier show parisien et a emmené dans ses bagages bon nombre de ses amis célèbres. Ambiance assurée pour cet opus qui coche toutes les cases du politiquement correct avec les identités latino et LGBTQIA+ … et les clichés qui s’y rattachent.
La collection quant à elle n’est pas totalement à la hauteur de l’ambition coincée dans les effets de spectacle et les poncifs gangsta chicano. Loin d’être ratée, elle n’est cependant que la répétition d’idées déjà vues chez ce créateur comme chez bien d’autres ces dernières années. N’est pas Emilia Perez qui veut.

LANVIN
L’éternel retour
Autre défilé très attendu, celui de la plus ancienne maison de couture française en activité dont les rênes créatives viennent d’être confiées au vétéran Peter Copping après deux ans d’absence sur les podiums. Il est vrai qu’en dix ans, la marque a descendu tous les échelons, parfois à la volée. Le Britannique au C.V. impressionnant avait annoncé vouloir renouer avec le « chic ultime » de Jeanne Lanvin. Le résultat ne manque ni d’élégance ni d’allure pour cette prise de parole mixte. Ici aussi, on retient l’opulence des manteaux à chevrons ou façon panthère que n’aurait pas renié Cary Grant. Il manque sans doute à cette collection une connexion plus directe à notre époque et une désirabilité plus immédiate.

mais aussi…
Loin des podiums mais bet et bien inscrites dans l’agenda parisien, plusieurs griffes importantes ont choisi le format de la présentation. Parmi les plus réussies, celle d’Arthur Robert pour Ouest Paris qui upgrade son vestiaire mi-western mi-workwear du côté de chez David Lynch et de son célèbre rideau de velours rouge. Impossible de ne pas citer Dries Van Noten avec une collection conçue par le studio emmené par le brillant Julian Klausner. Resté jusqu’ici dans l’ombre du maître anversois, le nouveau directeur artistique formé à la Cambre séduit déjà avec une relecture audacieuse -presque excentrique- des archives maison. On attend avec impatience son premier défilé en solo dans un tout petit mois.

