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LES NOUVEAUX SNOBISMES DE SALLE DE BAINS

Par Nina Boutléroff

Comment le linge de bain et les accessoires dédiés à la toilette ont fait de la pièce d’eau la nouvelle « chambre à soi ».

Ne pas mélanger les torchons et les serviettes

Comme à son habitude, Balenciaga a cassé Internet. Cette fois-ci, l’objet du désir et des détournements est une serviette de bain. Issue de la collection été 2024, cette jupe en éponge gris souris, maintenue à la taille par deux boutons pression et portée par-dessus un baggy cargo beige, rappelle étrangement un modèle de chez Ikea. Une ressemblance qui n’a pas échappé à la firme suédoise qui s’est empressée de détourner la silhouette Balenciaga en la reproduisant au rayon “bain”. La véritable sauce pour Balenciaga se trouve dans le panier. Si le modèle de serviette d’Ikea est vendu à 9,99 euros, celui de la maison de couture est proposé pour la bagatelle de 695 euros. Un prix qui lui vaut bien des mèmes et des moqueries comme cet extrait de Mr Bean se pavanant dans un magasin, drap de bain noué à la taille. Mais Balenciaga n’est pas le seul à faire de la toilette un instant de luxe. Vus un peu partout dans le prêt-à-porter, les vêtements en éponge inondent les collections printemps-été 2024, à commencer par celle de l’expert en la matière, Terry, ou encore chez Tove, label qui défile à Londres. 

Les nouveaux codes de la salle de bains 

Passer sa vie en peignoir, un vrai life goal ? Un élan bien senti par de nombreuses marques qui se spécialisent dans le vestiaire de salle de bains comme le label français Ott., créé par Marion Quilichini dans une volonté de « réinventer le plaisir de l’après-bain » avec du linge beau et responsable, inspiré du design. La marque Plash, elle, renouvelle le concept du peignoir et l’élève au rang de pièce mode avec un modèle unisexe à la coupe étudiée et légèrement sportswear avec plutôt l’énergie d’un Rocky Balboa que d’un The Dude ramollo. Tekla, un autre pro du textile domestique qui compte bien révolutionner le game, s’associe à Jacquemus et signe une collection méga désirable. Comble du snobisme de salle de bains : les nouveaux soins buccaux ultra-chics comme ceux de Selahatin, pionnier du « luxe oral ». D’ailleurs, on ne dit plus « bain de bouche » mais parfum de bouche, comme en témoignent les essences « Escapist » ou « Of course I still luv you » aux douces notes de citron et de bergamote, conçues pour rafraîchir subtilement l’haleine. Bref, la toilette est devenue un vrai moment de luxe qui promet un esprit sain dans un corps sain.

Éponge émotionnelle

Et si tout ce matos venait finalement confirmer que la salle de bains est devenue “the place to be” pour qui souhaite se recentrer sur soi. Prendre du temps pour soi est un luxe, voire une façon de s’épanouir. C’est d’ailleurs le postulat de nombreuses études sociologiques à ce sujet. Dans l’essai La salle de bain : reconfiguration des rapports aux autres et à soi à l’aube de l’adolescence signé Nicoletta Diasio et Virginie Vinel, les autrices développent l’idée de la construction de l’intimité via le temps passé dans la salle de bains, étant le seul espace au sein du foyer où l’on puisse encore avoir un peu de temps tranquille avec soi-même : “Le fait de pouvoir jouir d’un espace privé et de se dérober au contrôle des autres membres de la famille émaille de manière discrète plusieurs entretiens, où les enfants soulignent la volonté de perdre du temps”. Certes cet espace est partagé et le temps de liberté qu’il représente “n’est pas absolu” mais “plutôt que les espaces, ce sont les pratiques qui définissent les formes et le degré de l’intimité”, développent les sociologues. Dans un monde où la sollicitation est en surrégime, quoi de plus appréciable qu’un espace pour soi dont on aurait travaillé la DA comme celle d’un palace pour mieux s’émanciper ? Car c’est bien la théorie de Virginia Woolf dans son essai iconique : “Ce n’est pas une chambre, mais une pièce pour soi. Pas une chambre à soi, mais une pièce, un endroit, un lieu à soi.” Ça marche aussi avec la salle d’eau donc, bon bain !