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Masque Cryo Rubber au collagène Dr Jart © @kaaaaaaaaaaat

Le phénomène beauté coréen

Par Sirine El Ansari

Au sein du monde de la beauté, la France jouit depuis toujours d’une réputation internationale et s’impose encore aujourd’hui comme l’une des meilleures références cosmétiques sur le marché. Si les enseignes tricolores n’ont pas à pâlir de leur popularité, une force nouvelle s’est établie de l’autre côté du globe. Berceau des plus grosses tendances du moment, la Corée du Sud est la nouvelle pépite mondiale du soin. Gros plan sur la stratégie planétaire de la beauté coréenne. 

Autrefois inconnues du grand public, les marques de soin coréennes fleurissent depuis une dizaine d’années dans nos rayons. Le précurseur en France n’est autre qu’Erborian, fruit de l’union entre la griffe coréenne Hojung-Lee et la franco-hongroise Katalin Berenyi. Introduite en 2007, la marque a su s’intégrer au paysage des cosmétiques en France, notamment avec la bombe BB crème, une tendance venue de Corée qui a doucement mais sûrement fait son nid dans nos trousses de beauté. Répandu en Corée, le produit phare serait pourtant allemand : c’est l’esthéticienne Christine Schrammek qui a créé la toute première blemish balm cream (ou BB crème) en 1967 comme soin post-opératoire à l’attention de ses clientes. En 1990, la formule est améliorée grâce à l’expertise médicale du Dr Christine Schrammek-Drusio, sa fille aînée : des actifs comme le panthénol ou l’allantoïne, des réparateurs cutanés très prisés, s’ajoutent à la liste d’ingrédients. C’est à ce même moment que la fameuse crème attire l’attention du marché asiatique pour son action multiple sur la peau : hydratation, correction, protection UV, la BB crème est un produit tout-en-un popularisé par les plus célèbres actrices de K-dramas, affichant à l’écran un teint parfait. Tout aussi attentif à l’aspect de sa peau aux soins lui étant accordés, le public français semble lui aussi avoir été touché par le phénomène de la K-beauty. 

La vague Hallyu 

Le terme Hallyu désigne l’ascension fulgurante de la culture sud-coréenne dans le monde. Comparable à une sorte de soft power, la vague Hallyu commence à se propager  en France dans les années 2010. À ce stade, ce n’est encore qu’une petite communauté qui s’intéresse aux produits culturels coréens et à ses dérivés. L’aspect physique des stars coréennes contribue en grande partie à leur cote de popularité, et ces dernières se soumettent toutes à une routine de soin rigoureuse et biquotidienne, très populaire de l’autre côté du globe. En moyenne, cette routine compte dix étapes, que l’on peut réduire à sept pour les débutants. En voici les indispensables, dans l’ordre d’application : un démaquillant à base d’huile, un nettoyant à base d’eau, un exfoliant chimique, une lotion tonique, une essence, un sérum, une crème pour les yeux, une crème hydratante et enfin une crème solaire. Rajoutez à ça une multitude de masques et traitements annexes, promettant hydratation et régénération cutanée à celui qui les applique religieusement. Avant 2016, certains de ces produits demeuraient introuvables en France, c’est donc principalement sur Internet que les férus de K-culture trouvaient leur bonheur.

Le e-commerce, qui n’a cessé de croître depuis, a été un véritable support d’expansion pour les marques de beauté coréennes. Capables de toucher un public élargi, les sites de vente en ligne ont participé au gain phénoménal de 7,6 milliards de dollars enregistré en 2020 par les expéditions de produits cosmétiques depuis la Corée du Sud dans le monde entier (source : Service des douanes coréennes). Si les délais de livraison sont très longs (minimum trois semaines pour arriver jusqu’en France), l’objectif d’une peau parfaite facilite l’attente des plus dévouées et vaut les frais de douanes qui s’appliquent à réception du colis tant attendu.  

Des soins fun et efficaces

Au printemps 2016, Sephora présente à ses clientes françaises la marque Tony Moly, connue pour ses crèmes en forme de fruits et de légumes. L’enseigne, qui s’impose comme la championne du packaging kawaï, est née grâce au soutien du groupe Taesung, spécialisé dans la fabrication d’emballages de cosmétiques en Corée, un avantage majeur pour Tony Moly qui réussit à se démarquer et à attirer l’attention des chaînes de vente à l’étranger. Cette nouvelle clientèle, qui découvre avec amusement l’existence de masques moussants et de soins à confectionner soi-même, ne tarde pas à réclamer d’autres marques comme Dr Jart+, Skinfood et Laneige. Au premier abord, on pourrait penser que ces produits n’ont aucune autre plus-value que leur packaging et leur aspect ludique, mais l’expertise sud-coréenne s’étend également au domaine cosmétologique : réputés pour leur efficacité, les actifs de ces produits sont majoritairement des boosters d’hydratation épidermique, un autre point fort pour la Corée car ces derniers conviennent aux peaux sèches ou grasses, jeunes ou matures. De ce fait, l’acide hyaluronique, la bave d’escargot (redoutable ingrédient à ne pas sous-estimer), la glycérine et les céramides composent presque tous les best-sellers cosmétiques coréens. Véritable force d’innovation dans le monde de la beauté, la Corée pourrait-elle faire de l’ombre aux marques de soin françaises ? Pas tout à fait, car si le public de l’Hexagone est friand de nouveautés, il reste fidèle aux produits français, d’autant plus que ceux-ci font fureur auprès des étrangères. 

La France : la bonne élève qui prend des notes

Sur TikTok, YouTube et Instagram, pas une semaine ne passe sans qu’une influenceuse internationale ne découvre une nouvelle crème “miracle” venue tout droit d’une parapharmacie française. Cet été, c’est la Biafine qui, étonnamment, a connu son heure de gloire aux côtés d’autres crèmes Avène, La Roche-Posay ou Caudalie. En plus de leur composition élaborée sous expertise dermatologique, elles possèdent toutes des histoires de marques fortes, implantées dans le territoire français, un point qui leur attribue un caractère unique et constitue un avantage majeur face à la concurrence étrangère. Malgré tout, une légère adaptation s’impose face aux géants asiatiques et leurs routines de soin plus longues, avec une proposition de produits plus variée. L’essence, adorée en Corée mais peu connue en France, en est un exemple parlant : elle permet de préparer la peau à l’hydratation, et s’applique avec les mains pour faire profiter de chaque petite goutte à l’épiderme. Plus visqueuse qu’une lotion, l’essence est riche en actifs et est indispensable au rituel de soin coréen. En France, il faudra attendre 2017 pour que Caudalie introduise ce produit dans sa gamme Vinoperfect, et 2020 avec Uriage et son Essence d’Eau, mais à ce jour, les essences les plus vendues dans le monde sont de marques coréennes, japonaises ou encore américaines. 

Une autre tendance qui, on l’espère, restera dans les habitudes de chacun, est celle de la protection solaire : les femmes coréennes et est-asiatiques en sont les reines, motivées par la prévention du vieillissement cutané et l’objectif d’une peau blanche. Chez nous, les chiffres ne tendent pas encore vers une application rigoureuse et quotidienne d’un SPF (facteur de protection solaire). Selon un sondage YouGov réalisé par Blissim sur un échantillon de 1 000 personnes, seulement 27% d’entre elles estiment que la protection solaire est une affaire de tous les jours, et seulement 11% s’appliquent à protéger leur peau du soleil toute l’année. Pour autant, les marques ne désespèrent pas : sur la page Instagram de La Roche-Posay, la promotion de son célèbre filtre solaire Anthelios est en place toute l’année avec au moins une publication par mois, et cet été, les laboratoires SVR ont fait sensation avec une déclinaison de leur gamme Sun Secure : crème, gel, fluide, spray, brume ou stick, la marque veut surfer sur la vague et elle aurait bien tort de s’en priver. 

Sur TikTok, la K-beauty fait fureur

Moment propice à l’expérimentation et au self-care, le confinement semble avoir été une période charnière à l’essor du marché coréen de la beauté. En 2020, c’est également à cette époque que TikTok a pu s’épanouir un peu partout dans le monde. Incontestable pépinière à tendances, le réseau social regorge d’astuces skincare et de nouveautés à s’accaparer pour obtenir la plus belle peau possible. Depuis, les tendances coréennes n’ont cessé d’envahir les recommandations des internautes. Parmi ces dernières, la glass skin, que l’on traduira en « peau de verre » en français, est celle qui reflète au mieux la K-beauty : c’est en nourrissant en profondeur la peau avec plusieurs produits hydratants que l’on atteint ce teint miroitant, translucide et lumineux. L’effet chok-chok rejoint cette tendance et repose sur l’hydratation maximale de la peau, et tend à atteindre une peau repulpée, rebondie. La plus célèbre reste cependant celle du multi-masking, qui consiste en l’application simultanée de plusieurs masques sur différentes zones du visage. Dans une vidéo explicative, l’experte en skincare Renée Chow de la chaîne Youtube Gothamista applique deux masques à l’argile sur le front, le nez et le menton, ainsi que deux masques pour les yeux et les lèvres : “[Le multi-masking] est une manière de profiter des bénéfices de différents masques en une seule session. Si mon front est brillant, mes joues ont souvent tendance à être un peu sèches. […] J’apprécie la possibilité d’avoir les pores resserrés en maintenant une peau hydratée et rayonnante.”  

Le marché de la beauté est prospère et la Corée du Sud se situe désormais au cinquième rang mondial des exportateurs de cosmétiques. Facilité par le regain d’intérêt pour le self-care, c’est aussi grâce au gouvernement coréen que l’export est florissant. Consciente du potentiel de ses produits à l’étranger, la Corée n’impose aucune taxe aux entreprises d’export, une politique qui profite aux sites de commande en ligne et à la vague de soft power sud-coréen qui se propage jusque dans nos salles de bain.