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Crédit : PxHere

La fantosmie, une histoire de neurones hantés

Par DENYSE BEAULIEU

La fantosmie est l’un des symptômes de la Covid. Un mystérieux trouble de l’olfaction qui fait sentir des odeurs, généralement mauvaises, en l’absence de toute source odorante. Chargée de recherche au CNRS au sein du Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon, Camille Ferdenzi a étudié plus de 4000 témoignages de ces odeurs-fantômes recueillis sur les quinze premiers mois de la pandémie.

Quand se manifeste la fantosmie ? 

Certaines personnes rapportent des fantosmies le jour qui précède la perte totale de l’odorat. Ce sont des odeurs bizarres, inexpliquées, qui surviendraient quand les neurones olfactifs sont en train de mourir. Elles peuvent aussi se déclencher lors de leur régénération, ce qui explique que la prévalence des fantosmies augmente au bout de quelques semaines, au moment où l’odorat revient. 

Ces neurones olfactifs mourants ou naissants n’enverraient pas les bons messages au cerveau ?

On ne connaît pas les mécanismes de la fantosmie. Cependant, on sait que c’est lié à un dysfonctionnement dans le chemin de traitement des odeurs. Quand les neurones olfactifs se régénèrent, ils doivent se reconnecter, c’est assez complexe, ça ne se fait pas forcément de la bonne manière et des désorganisations sont observées. Ces phénomènes peuvent déclencher des perceptions d’odeurs erronées. Certains phénomènes se produisent au niveau de la muqueuse olfactive, là où les molécules odorantes viennent se fixer aux neurones olfactifs, mais aussi très certainement au niveau des aires cérébrales du traitement des odeurs. 

Que sentent ces odeurs-fantômes ? 

La grande majorité des odeurs citées sont déplaisantes. L’odeur la plus fréquente est celle de brûlé – fumée, grillé, feu, cigarette… Autres catégories, celles qui se rapportent à la pollution de l’air (gaz d’échappement, etc.), à la fermentation et à la pourriture (odeurs de poubelles, d’égout, de moisi), ou odeurs chimiques et métalliques. 

Cela correspond à la fonction de notre odorat comme sens de l’alerte.

C’est vraiment un résultat intrigant que ces odeurs soient désagréables et signalent des dangers pour la survie. Ça interroge sur la dimension centrale de ces odeurs fantômes : le cerveau active des représentations d’odeurs qui sont les plus pertinentes pour l’individu au niveau adaptatif. 

Une fausse alerte causée par un dysfonctionnement de l’odorat est donc forcément interprétée comme une mauvaise odeur ?

Le fait que ce soit quelque chose qu’on n’a pas choisi, qui nous enquiquine, qui n’est pas familier, tout cela va faire que la stimulation sera négative. On essayera de la rapprocher de quelque chose qu’on connaît – ce que le cerveau fait de manière naturelle. 

Peut-on aussi percevoir des odeurs- fantômes agréables ?

Certaines personnes qui ont perdu l’odorat disent avoir des flashes olfactifs dont le déclencheur n’est pas l’odorat. Ce peut être la vue. Par exemple, une dame racontait qu’elle avait senti pendant une fraction de seconde le poulet rôti rapporté par son mari. En fait, c’est le cerveau qui fait une ré-expérience, une imagination des odeurs. Ce sont des flashbacks déclenchés par d’autres modalités. 

Peut-on cultiver ces flashbacks, dans le cas d’une perte de l’odorat ?

Les orthophonistes sont très impliqués dans la rééducation des troubles olfactifs, notamment par le biais de la rééducation cognitive. On met les personnes en situation de se représenter telle ou telle odeur mentalement. On a tout à fait la possibilité d’imaginer les odeurs.