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JAOUAD BENTAMA, LE PLUS PARISIEN DES ARTISTES NEW-YORKAIS

Par ZOÉ TEROUINARD

En 2012, Jaouad Bentama quitte Paris les bras chargés de toiles et la tête pleine de rêves, direction New York. Marqué par les artistes européens du mouvement CoBRA et la fougue des jeunes Américains Jean-Michel Basquiat et Keith Haring, son art, subtil et grandiose, fait le pont entre deux cultures, entre élégance parisienne et bouillonnement new-yorkais. Pourtant, alors qu’il vit son “American Dream”, la vie du plasticien bascule en 2021. Un accident de scooter le plonge dans un coma profond, duquel il émerge bouleversé, une plaque de métal dans le bras droit et des doutes à ne plus savoir qu’en faire. Un drame dont il ressortira grandi et qui modifiera à tout jamais sa peinture, dont l’émotion, l’espoir et la douleur transpercent chaque pigment. Actuellement exposé au Molière (un espace événementiel situé rue de Richelieu dans le 1er arrondissement de Paris), Jaouad Bentama nous a donné, à l’occasion de cette Karte Blanche, une véritable leçon de résilience. Ou comment trouver la lumière dans l’obscurité. 

Tu as fait le choix de partir à New York il y a une dizaine d’années. Qu’est-ce qui a motivé ta décision ? 

J’avais du mal à vraiment m’exprimer sur la scène parisienne et je me suis dit “Pourquoi pas voyager et partir à New York”. L’idée était de faire le pont entre Paris et New York et d’aller là-bas pour essayer de m’exprimer artistiquement parlant.

Pourquoi New York et pas une autre ville ?

Cette ville m’a attiré parce que les plus grands maîtres du monde de l’art sont passés par là, de Jackson Pollock à Basquiat en passant par Keith Haring. En allant là-bas, je voulais m’ouvrir davantage artistiquement et devenir la personne que j’aspirais à être. Arrivé aux Etats-Unis, de nombreux cadeaux “énergétiques” m’ont été offerts, via les collectifs, les rencontres… et la magie new-yorkaise a opéré ! 

Justement, tu cites Pollock comme modèle et, dans ton travail, on note aussi des références au pop art. Est-ce que ces références tu les as découvertes à New York ou tu les avais déjà en t’y installant ? 

J’avais déjà un bagage artistique parisien, et notamment les références du mouvement CoBRA qui m’ont initié à l’art étant plus jeune. J’arrive donc à New York avec une idée de la culture assez forte, explosive même. Pourtant, là-bas, j’ai redécouvert l’art moderne et le pop art, qui m’ont beaucoup attiré et influencé. J’ai rapidement rejoint le collectif d’artistes Bowery Union, où les gens touchaient au graffiti, à l’art contemporain, à la sculpture… Ce contact avec d’autres pratiques m’a beaucoup ému et ouvert à d’autres canaux, d’autres façons de faire. 

Tu as fait une collaboration avec la marque de streetwear Umbro, très associée au football. Raconte-moi l’histoire de ce projet, et est-ce important pour toi de faire des ponts entre l’art contemporain et des milieux plus populaires ? 

Il fallait vraiment que je sorte de ma zone de confort. Faire cette collaboration, c’était l’occasion de ne pas faire de l’art uniquement tourné vers ma personne, mais d’imaginer un art en mouvement. Voir mon dessin devenir un maillot porté, en mouvement justement, ça m’a beaucoup plu. Mais ce qui m’a vraiment émerveillé, c’est tout le projet associatif qu’il y avait derrière ce travail. Tous les fonds ont été reversés à l’hôpital Robert Debré (dans le 19e arrondissement de Paris), et c’est d’ailleurs la raison qui m’a poussé à dire oui à cette collaboration. 

Tu as récemment subi un accident, que tu définis comme un drame. Peux-tu nous parler de ce tournant et de la façon dont cet événement a modifié ta pratique ?

Ça a été un drame, mais aussi une renaissance intérieure. Tout a été chamboulé dans ma vie. Avoir 47 fractures, faire le voyage spirituel de la mort, la rencontrer, la voir et la refuser… J’ai la sensation d’avoir vécu une deuxième naissance, quelque chose qui m’a dépassé. Là, mon art prend une autre tournure. Je me suis dit “je ne suis pas que cet artiste, ça va au-delà”. Voilà ce qui explique ce virage artistique que j’ai entamé, et que je suis encore en train de creuser. 

Je veux que mon art soit vraiment en mouvement, qu’il convoque plus d’émotion, qu’il soit plus explosif, d’où la déchirure, d’où le pont entre l’émotion intellectuelle, l’œuvre et l’artiste. Le but est que tout cela ne fasse plus qu’un et de donner le meilleur émotionnellement à travers une œuvre. Je ne sais pas si tout ça a un sens… mais, au fond, je ne cherche pas le sens. Tout ça me fait du bien, ça m’a permis de rester en vie. A l’intérieur du chaos, il y avait une petite fissure de lumière que j’ai pu capturer et qui m’a complètement submergé. Et aujourd’hui, j’en suis heureux. Même si ça a été un drame, à l’heure actuelle, je considère ça plutôt comme un voyage artistique que je suis en train de sublimer. 

Avant, tes œuvres avaient un aspect esthétique plus léché, plus “propre”. Aujourd’hui, il y a quelque chose de beaucoup plus violent qui émane de tes toiles. Comptes-tu combiner cette nouvelle direction avec ta pratique passée ?

Je les concilie toujours ! C’est toujours de la matière. J’aime travailler la matière car on ne peut pas pleinement la contrôler, elle est toujours en mouvement. J’aime me perdre à travers une œuvre, m’y retrouver… ou pas. L’important c’est que la création soit pure et sincère. J’essaie de faire passer un vrai message artistique et profond. 

Tout le monde a vécu une déchirure, intérieure ou extérieure, tout le monde a vécu une séparation, un drame, un chaos. C’est ce que j’essaie de retranscrire à travers mes toiles. 


Vidéaste : Ervin Chavanne
Journaliste : Zoé Terouinard
Merci au restaurant Bonhomme pour l’accueil