×
CITIZENK - Maiwenn Nicolas

J’AIME MOINS ME BATTRE DEPUIS QUE J’AI DES NOUVEAUX HABITS

Par EYMERIC MACOUILLARD, Illutration par MAIWENN NICOLAS

13 septembre 2022, salle Pleyel, je suis invité à la soirée d’avant première du film Athéna par Netflix. Dans la salle, je suis le seul à ne pas payer l’ISF. Je croise Dali Bensallah l’acteur principal du film. Au détour d’un couloir, je fais pipi à côté de Kaaris, Vincent Cassel & Tina Kunakey sont aussi là, ainsi que tout le collectif Kourtajmé… bref il y a du monde. C’est une « belle soirée », pour autant je suis un peu absent parce qu’une seule question m’habite : « comment vais-je faire pour avoir 12 invit la prochaine fois ?! ». Je suis là, je vis un bon moment, pourtant je n’arrive pas à m’arracher de mon collectif resté à Bordeaux.

D’ailleurs, ça fait bientôt un an que ça dure cette sensation. Un an que je suis invité à toutes sortes de soirées parisiennes, que je jouis de mon transfuge de classe, mais seul. J’ai toujours été solitaire, j’ai toujours eu l’habitude d’entreprendre les choses seul. Par contre, célébrer, ça a toujours été collectif. Peu importe la dure labeur abattue en solitaire, il est inconcevable pour moi de ne pas embarquer les miens dans mes victoires. Sauf que, depuis Paris, je suis seul. Il n’y a pas mon collectif pour goûter à l’inédit de la bourgeoisie. Il n’y a pas mon collectif pour faire moins tâche dans les beaux endroits jusqu’au bout de la nuit, et je m’en veux. Je m’en veux parce que j’ai toujours grandi avec cette idée que tu fais les choses pour les autres, que c’est mal de les faire seulement pour soi. Ce n’est pas ma faute, on est éduqués comme ça. La réussite des uns fait celles des autres. Est-ce qu’il en est de même pour les défaites ? Je préfère que vous ne me posiez pas la question.

Du coup, je me questionne : ça veut dire quoi le « collectif » ? Pourquoi je semble si rattaché à l’idée, et pourtant le mot ne me fait que si peu échos ? J’ai cherché dans le dico, et il est dit qu’un collectif c’est un « ensemble de bien et de personnes ». Rien que ça, juste ça d’ailleurs. Du coup, je comprends mieux pourquoi le mot n’a jamais résonné en moi. Je n’ai jamais eu de collectif. Nous n’avons jamais juste été « un ensemble de bien et de personnes ». Nous ne sommes pas des sommes d’individus qui n’ont rien à voir et que l’on pourrait montrer du doigt comme un collectif. Ce caractère lisse du mot, il ne nous correspond pas. Non, nous, nous sommes beaucoup plus que ça. Nous sommes des gens qui ont des valeurs, des références communes, et comme je le disais, nous sommes de ces gens qui, même seul, continue d’avancer pour le reste du groupe. En somme, et après avoir épluché à la fois mes songes et les pages du dictionnaire, je pense être à même de vous dire que je me retrouve plus dans le terme communauté. 

Une communauté c’est « un groupe social qui vivent ensemble et qui ont des biens et des intérêts communs ». Voilà qui nous définit mieux. Alors c’est vrai que les biens on en a peu, par contre les intérêts et les rêves commun on en a plein. Souvent, il n’y en a qu’un qui arrive à les atteindre, et du coup il les vit pour les autres. C’est mon cas, et c’est pour ça que lors de cette soirée de septembre 2022, je cherche des subterfuges pour avoir 12 invitations au lieu de profiter de ma soirée.

Alors maintenant quoi, qu’est-ce-qu’on fait de tout ça une fois qu’on a épaissi la nuance entre collectif & communauté ? On constate et puis khlass ? Je ne pense pas. Je pense plutôt que la vie nous donnes des nuances afin qu’on les mette en relief et qu’on en tire des réflexions. Voici celles que j’ai tiré : 
Le plus grand collectif auquel j’ai voulu appartenir toute ma vie est celui de la mode. A ce mot, cette manière de s’habiller, j’y associé tout un concept de hype, de trucs dont je ne pouvais pas être, qui ne m’était pas destiné. Historiquement, le vêtement avait pour but de refléter le rang social, aujourd’hui il semble refléter le rang auquel on souhaiterait appartenir. Aujourd’hui, la mode semble être un outil pour incarner un soi qui n’était pas destiné à être selon le milieu où l’on a poussé. J’ai parfois l’impression de bien m’habiller, d’autres fois j’ai l’impression d’essayer un truc que je ne suis pas. Cette année on m’a beaucoup complimenté sur mon style, mais c’est toujours très divisant comme expérience de compliments. Parce que chez moi je m’habille bizarrement, pour des gens que je croise dans la vie de tous les jours je m’habille bien, et pour le milieu de la mode je ne suis toujours rien. A qui dois-je faire confiance ? De quel collectif dois-je me revendiquer ? Je ne sais même pas si je veux revendiquer quoi que ce soit. Il y a une notion de condescendance dans le fait d’assumer son style qui me gène un peu. Par contre, au-delà du caractère revendicateur, il y a dans la mode une évolution que je trouve intéressante. 

La mode semble être devenue une communauté plus qu’un collectif. L’exemple le plus récent qui me pousse à dire cela, c’est la tendance « kalenjisportlife » au brésil. Yard en a fait un très bon article : https://yard.media/sportlife-bresil-brazil-kalenji-yard-mode/. Je vous résume : la mode des kalenji, des asics, et des maillots de foot n’est plus seulement populaire dans les quartiers populaire où j’ai grandi. Désormais, vous la trouvez même jusqu’au fond du Brésil. N’est-ce pas là le plus grand signe que la mode est une communauté ? Plus qu’un simple collectif de personnes qui consomment un style esthétique qu’ils affectionnent, il s’agit tout simplement ici d’un ralliement à un mouvement, de biens et d’intérêts communs ! 

Alors ce n’est pas nouveau, à l’époque les hippies en ont fait de même pour la paix, aux USA, les rappeur ont aussi adopté un style en tant que communauté. Parce que oui le cliché du rappeur avec une grosse chaine, un manteau en fourrure, et une vixen à côté de lui ne vient pas de nul part. L’origine est la suivante : à l’époque, l’un des seuls modèles d’émancipation pour la communauté afro-américaine se trouve être les PIMP (proxénète). Ils ont de l’oseille, sont au-dessus des lois, et donc un modèle d’émancipation dans une société capitaliste comme l’est celle des états-unis. C’est exactement pour cela que les rappeurs ont repris ces codes ! Aujourd’hui on parle de « communauté » hip hop, avec tous ses codes qui la composent, y compris la mode. Si on parle bien de communauté et non de collectif, c’est bel et bien parce qu’à l’origine, les rappeurs ont exprimé par leurs vêtements le sort de leur communauté ! 

Dans un monde où la mode évolue constamment, passant d’une simple expression individuelle à une forme de connexion collective, il est fascinant de voir comment le concept de collectif se transforme en communauté. Tout comme les vêtements qui unissent les styles, les gens se rassemblent autour de la mode pour créer une communauté où les différences sont célébrées et où l’individualité trouve sa place. En somme, la mode est aujourd’hui un monde pluriel dans lequel chacun peut donner un sens à son existence singulière. 

J’ai passé cet édito à chercher les bons mots afin d’exprimer les maux que m’évoquait à la base cette notion de collectif dans laquelle je me sentais rejeté. Au final, et après quelques soirées bobo bien pensantes, je me rends compte qu’il suffit souvent d’un regard, d’une allure, d’un geste pour trahir mon appartenance à une communauté que je tus de base. Force est de constater, que jusqu’à ce que je l’ouvre, l’habit fait le moine, et je fais parti de leur collectif. Les choses se gâtent lorsque je parle, et c’est alors que mon accoutrement perd subitement la valeur qu’il pouvait avoir à leurs yeux. Mes habits ne sont plus alors l’expression de mon style, mais bel et bien un échappatoire à ma condition de naissance. 

Pour autant, force est aussi de constater, que la mode permet de plus en plus de trouver une communauté pour celleux qui ne se sentent pas à l’aise dans celles où iels sont né.e.s. En définitive, la mode a transcendé les frontières du simple vêtement pour devenir le reflet dynamique d’une communauté diversifiée, où chacun contribue à un dialogue visuel unique et vibrant. C’est dans cette évolution, de collectif à communauté, que réside la beauté et la force de l’expression de soi à travers la mode, une force unificatrice qui unit les coeurs et les esprits dans un langage sans mots, mais chargé de sens. 

Alors j’ignore si je vais obtenir 12 invitations la prochaine fois que je serai invité chez Netflix, par contre, je sais avec quel état d’esprit j’irai et ça peu importe mon accoutrement. Parce qu’en définitif, ce qui compte pour être, c’est de faire communauté plutôt que collectif.