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Les 50 classiques d’Henry Jacques sont présentés dans des niches au sein de la boutique avenue Montaigne. © D.R.

Henry Jacques, une légende discrète de la haute parfumerie

Par Maïté Turonnet

Connaissez-vous Henry Jacques ? Hier, nous non plus. Cette maison de fragrances est pourtant l’une des plus extraordinaires qui soient, et sûrement la plus confidentielle. Une raison à cela : depuis sa naissance en 1975, elle ne pratique que le sur-mesure pour amateurs amoureux, éclairés et (très) aisés. À ce jour, il existe 3 000 créations, resserrées dans l’olfactothèque de son laboratoire.

Au départ, une sorte de coup de foudre dû à la rencontre entre un jeune publiciste nommé Henry Cremona, son épouse Yvette et Joseph Sassi, un parfumeur old school issu de la cinquième génération d’une dynastie grassoise. Passion immédiate pour les matières premières, lassitude d’un métier pas assez gratifiant et, subséquemment, choix d’un changement de vie radical consistant à s’installer en Provence, à construire un atelier de création à Draguignan et à se lancer dans une aventure vertigineuse : celle de l’excellence absolue. À une époque où l’offre est submergée par le massmarket et le marketing (fragrances uniformes et flacons en toc), forcément, ça marche ! L’essor de l’entreprise s’est fait par le bouche à oreille, quelques expositions et une adhésion sans faille des clients dont l’anonymat est tenu aussi secret que les techniques de fabrication. On soupçonne toutefois quelques majestés du golfe Persique (dont, c’est officiel, le fondateur des Émirats arabes unis, Cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyan), des oligarques russes actuellement en empêchement et autres excellences mondiales (stars hollywoodiennes, footballeurs brésiliens, industriels californiens) qui détestent l’idée de sentir la même chose que leurs gardes du corps. Citons aussi, puisqu’il l’accepte, le couple Xisca et Rafael Nadal (égérie de l’horloger Richard Mille, oncle d’Anne-Lise Cremona, fille des fondateurs, aujourd’hui présidente de la maison), dont la ligne “En Toute Intimité” composée de trois jus agrumés (culture espagnole oblige) vient de sortir. Où ça ? demandent les curieux. La première boutique s’est ouverte à Londres chez Harrods. Puis à Los Angeles, Abu Dhabi, Dubaï, Singapour, Hong Kong, Kuala Lumpur. Sans oublier celle tout récemment posée au numéro 2 de l’avenue Montaigne à Paris. 

Trésors de la nature

Avant d’y pénétrer, il faut passer par le jardin ceinturant l’immeuble en angle. Assez vaste pour être tapissé des fleurs, herbes, arbustes, fruits du parfumeur royal, tels que répertoriés sous Louis XIV, on s’attarde, on y hume, on s’extasie avant d’entrer dans le sanctuaire. Boiseries ici, meubles très anciens ailleurs, murs noirs là, canapés mœlleux partout, œuvres d’art (Ô Alvar Aalto !), à commencer par les flacons eux-mêmes, dessinés par l’architecte Christophe Tollemer, dont certains, évidemment en cristal, sont “encagés” dans des dentelles d’or et de pierres rares. Une succession de pièces intimes, délicieusement apaisantes, où, dans des vitrines éclairées comme celles d’un grand joaillier, on découvre les diverses collections d’essences. Il y a la reconstitution du laboratoire maison, plusieurs salons privés et celui réservé au bijou Clic-Clac en titane, carbone ou or rouge qui s’ouvre sur une concrète interchangeable, ou celui des 50 “Classiques”. Berceau de Ma Joie, Cascador, Miss Y., Down to Heart, etc. Beaucoup d’ouds, plein de roses.

Intervient ici la partie mystère, arcanes, motus de l’histoire. On dirait du storytelling, mais non. C’est Anne- Lise qui le promet : “Il n’y a pas d’alcool ajouté dans nos formules, qui toutes sont très hautement concentrées.” Plongeant illico l’interlocutrice dans un abîme de perplexité. Voyons, révisons. Un peu comme lorsqu’en saison faste on enferme quelques œufs avec un morceau de truffe fraîchement diligentée du Périgord pour qu’ils en captent la saveur, il existe en effet la pratique multimillénaire de l’infusion consistant à plonger un produit odorant (pétales de fleurs, vanille, ambre gris, etc.) dans un liquide bouillant (alcoolat ou huile) afin qu’il y dissolve ses molécules et autres vapeurs au fil du temps. Pareil, son équivalence à froid, la macération. L’excipient récupéré étant employé pur dans les diverses compositions (jadis chez Guerlain, Coty et leurs pairs). Deux usages abandonnés depuis presque un siècle. Il y a aussi le fruit de la distillation au sortir même de l’alambic : l’huile essentielle. Ça se tient : pas d’ajout alcoolique, un dosage phénoménal, un résultat ultra précieux. Mais cela n’est que supputation, inhabituée que nous sommes, où que ce soit, à la terre des merveilles