Que le parfum soit une affaire de goût, c’est évident. Raison de plus pour l’avoir mauvais, “le bon goût”, disait l’excentrique poétesse britannique Edith Sitwell, étant “le pire des vices jamais inventé”.
Votre voisine d’ascenseur se repeint du sol au plafond de jus dégoulinants de praline ? Ces sillages sucrés à en carier les molaires vous paraissent de la dernière vulgarité. Votre collègue d’openspace s’est imbibé de notes boisées sous anabolisants, effluves secs comme le sirocco qui vous ramonent les naseaux jusqu’au bulbe olfactif ? Preuve évidente d’incivilité olfactive. Le parfum des autres étant impossible à éviter puisqu’il faut bien respirer, il est, davantage que d’autres accessoires ou cosmétiques, sujet à un jugement qui nous semble d’autant plus irréfutable qu’il est viscéral.
Par-delà le réflexe miam-beurk
Façonnées dès le séjour in utero et au gré des associations formées au cours de notre vie, mais aussi par notre culture, notre génération et notre classe sociale, les préférences olfactives sont ancrées dans notre identité, inscrites dans notre inconscient. Si elles relèvent du goût, ce n’est pas, du moins dans un premier mouvement, au sens de la capacité à discerner ce qui est beau ou laid. Mais au sens du réflexe miam-beurk : l’aire cérébrale dédiée à l’olfaction étant directement branchée sur celle régissant les émotions et la mémoire, elle court-circuite le cortex où s’élaborent les jugements esthétiques.
L’appréciation d’un parfum est certes viscérale, mais elle n’est pas, non plus, entièrement une question de subjectivité. La preuve en est que cette appréciation se cultive et s’affine, non seulement chez les professionnels de l’industrie, mais également chez les critiques de parfum et les amateurs éclairés, de plus en plus nombreux. Jusqu’à pouvoir admirer, en se fondant sur des arguments raisonnés, un parfum que d’instinct, on ne supporterait pas sur sa peau… “Ça n’est pas facile de critiquer. Premièrement, parce qu’on peut se tromper. Aussi, parce qu’on a nos propres goûts dont on doit faire abstraction. Le goût, le fait d’aimer certains types de parfums ne doivent pas entrer en compte. On doit pouvoir apprécier la beauté d’un parfum, sa technique, son discours, sans pour autant kiffer”, écrivent ainsi les auteurs de La Parfumerie Podcast dans un manifeste intitulé “Les goûts ça ne se discute pas, la qualité par contre…”
*Cet article est issu de notre numéro d’Hiver 2024-2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*