À la rencontre du danseur et chorégraphe Némo Flouret
Comment pense-t-on un spectacle ? À qui s’adresse-t-on et quel langage utiliser pour le rendre accessible tout en s’inscrivant dans une niche artistique ? Ces questions, Némo Flouret, jeune danseur et chorégraphe originaire d’Orléans, se les pose constamment. Car elles font partie intégrante de sa pratique, mais surtout car la danse contemporaine n’est, au fond, pas si simple à appréhender pour qui n’est pas initié. Dans la diversité de ses projets, dans son approche non institutionnelle de la danse ou encore dans sa volonté de construire un propos tant radical que nuancé, Némo Flouret se démarque. CitizenK l’a rencontré par un après-midi froid mais ensoleillé aux alentours de la Ménagerie de verre dans le 11e arrondissement de Paris, où il présentait jusqu’à récemment son spectacle 900 Something Days In The XXth Century. Un entretien dans lequel il aborde, en vrac, l’importance de l’humain dans la construction d’une forme nouvelle de spectacle vivant, le cloisonnement toujours trop présent entre les arts, notamment en France (lui est basé aujourd’hui à Bruxelles), et à quel point il est crucial de sortir des cadres en fondant toujours son propos sur une recherche de fond. Récit non exhaustif d’une rencontre avec une personnalité que nous ne découvrons qu’à peine.
Rapport aux lieux, rapport aux œuvres, rapport à l’autre
« J’aime expérimenter des espaces que le spectacle vivant n’investit pas forcément en ce moment, pour aller à la rencontre de publics différents. » Sorti du Conservatoire national supérieur de Paris, puis de P.A.R.T.S à Bruxelles, l’école fondée par la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker, dire de Némo Flouret qu’il n’aime pas s’enfermer dans une case serait un euphémisme. Louvre, Biennale de Charleroi, Ménagerie de verre, à seulement 28 ans, le Français a déjà à son actif un panel de projets aux identités fortes que rapproche une question de fond : comment sortir la danse de sa zone de confort en allant à la rencontre de nouveaux publics ? « Créer un spectacle, ce n’est pas imposer la danse, c’est comprendre les logiques internes entre un lieu et les personnes qui l’habitent », explique-t-il. Et l’on comprend pourquoi : sortir des sentiers battus du spectacle vivant et des cadres institutionnels est un choix en tant que tel, et requiert d’accepter qu’il n’y ait pas de « bonne manière » de faire les choses. Pour raconter l’histoire de ces lieux que, temporairement, il habite, Némo Flouret doit comprendre l’espace et ses enjeux, qu’il s’agisse, d’ailleurs, d’une friche industrielle ou d’une institution aussi prestigieuse que le Louvre. Chaque projet reflète donc un vrai travail de fond, basé tant sur la recherche historique et théorique que sur la discussion et l’échange avec les parties prenantes. Sans cela, impossible de créer des liens forts et, par conséquent, de penser un spectacle qui fasse sens. « Au Louvre, nous avons énormément échangé sur le rapport des publics aux œuvres, notamment dans une époque où l’on ne sait plus regarder la peinture autrement que sur un smartphone. » Qui sommes-nous en tant que spectateurs ? Et surtout, comment interagir avec autrui ? Voici les questions soulevées par Forêt, projet muséal réalisé dans le cadre du Festival d’automne 2022 avec, justement, Anne Teresa de Keersmaeker. Inviter le spectateur à la réflexion, c’était aussi l’enjeu de la représentation tenue au Rockerill à Charleroi en 2023. Dans cette ancienne forge, haut lieu de la scène techno belge, le danseur explique l’importance de la lisibilité : « La culture underground m’a toujours beaucoup influencé et intéressé, et il s’agissait, dans ce cadre, de la rendre lisible à tous à travers la danse tout en étant radical dans le propos. »
Décloisonner, c’est comprendre la nuance
Cette volonté d’ouvrir la danse à des horizons nouveaux entraîne Némo Flouret et son équipe dans des directions toujours plus surprenantes. Récemment, c’est avec la maison Issey Miyake que le chorégraphe s’est ouvert à une sphère jusqu’alors inexplorée : la mode. Invité par l’ensemble Ictus à travailler aux côtés de Satoshi Kondo, directeur artistique de la célèbre maison japonaise, Némo Flouret a signé une performance inédite pensée comme introduction au défilé de la collection printemps-été 2024. Décloisonner, c’est circuler entre les arts en gardant toujours en tête les mêmes valeurs : « J’étais au départ un peu réticent à l’idée de travailler avec la mode car c’est un milieu particulier, très lié à la consommation, mais ce qu’a proposé Kondo nous a tout de suite séduits. Il a une vision profondément artistique de la confection textile qui donne un sens à cette collaboration. » Une approche qui fait sens pour le chorégraphe qui souhaite être là où on l’attend le moins. Chaque projet participe à la construction d’un propos global construit autour de la danse mais faisant régulièrement appel à des artistes d’autres disciplines. Ce sera d’ailleurs le cas pour sa prochaine création intitulée Derniers Feux, soutenue par le programme Dance Reflections de Van Cleef & Arpels : « Tout se fait toujours dans la discussion et le compromis. Si jamais le projet nous permet de rester fidèles à nos valeurs tout en nous donnant les moyens de faire les choses, alors on y va. Il y a toujours une dimension introspective forte, et nous mutualisons et discutons énormément, car chaque spectacle est un retour à zéro ». Approcher la mode, sous conditions, c’est à la fois une manière pragmatique de faire vivre son équipe et de toucher à d’autres publics. La boucle est donc bouclée. « Il est souvent plus compliqué d’être dans la nuance que d’être radical », conclut le chorégraphe. Et en effet, trouver le bon équilibre entre valeurs et pragmatisme, entre utopie et réalisme nécessite de bien comprendre la nuance. Sans cela, il y a grand risque de tomber dans l’écueil de la simplification. Heureusement, Némo Flouret en semble bien loin !