Inspirée par les grands maîtres de la Renaissance, l’artiste Chloë Saï Breil-Dupont leur emprunte volontiers la forme, à travers la peinture à l’huile sur bois, mais pas le fond. Si sa technique confère un caractère réaliste à ses immenses toiles, elle y injecte des éléments symboliques poussant le spectateur à avoir sa propre interprétation. Des peaux colorées, des mains tenant des objets, des yeux qui ne nous quittent pas du regard. À l’occasion de sa participation à notre rubrique Karte Blanche, nous avons rencontré Chloë Saï Breil-Dupont afin de discuter de ses toiles aussi envoûtantes qu’énigmatiques.
Citizen K : Comment en es-tu venue à la peinture ?
Chloë Saï Breil-Dupont : Je pense que pour toutes les personnes qui sont créatives, il y a un moment où une pratique s’impose. Pour moi ça a été le dessin puis la peinture. J’en ai fait de plus en plus et je me suis améliorée puis spécialisée là-dedans. Plus on se spécialise dans quelque chose, plus il y a une brèche qui s’ouvre dans ce monde en particulier.
Citizen K : Si tu devais définir ton esthétique, comment la décrirais-tu ?
Chloë Saï Breil-Dupont : Il y a quelque chose de très figuratif et réaliste. Je pense qu’on ressent des influences de la Renaissance dans la manière de faire des portraits à l’huile avec l’ajout du glacis pour obtenir certaines textures de peau. Mais je ne réfléchis pas à la peinture comme une surface uniforme, je ne peins pas de la même manière sur toute la toile.
Citizen K : Parle-nous un peu de l’œuvre qui est mise en avant ?
Chloë Saï Breil-Dupont : Elle s’appelle A river, Soo. Soo, c’est le prénom de la personne qui est peinte, qui est également artiste peintre. Elle habite à Berlin et vient de Séoul, en Corée du Sud. Dans cette peinture, j’ai l’impression que tout est un peu une rivière, avec cette chemise fluide qui a plusieurs plis, la pâte noire qui explose un peu partout et la plante aquatique qui ressemble à une fleur qui crée sa propre lumière dans les fonds marins. Ce que j’adore dans cette peinture, c’est l’effet de balance, on sent qu’elle est stable mais en même temps ça ne tient pas à grand-chose.
Citizen K : Parles-nous un peu du choix des couleurs dans ton travail.
Chloë Saï Breil-Dupont : Ce que je représente dans mes peintures, c’est comme un monde qui ferait un pas de côté. C’est-à-dire que tout pourrait exister mais il y a comme quelque chose qui suggère que ce n’est pas tout à fait la réalité. Les plantes ont des comportements humains et les humains tendent vers quelque chose qui se rapproche du comportement des plantes. Ça passe par le fait d’avoir des peaux en couleur, des peaux qui créent leur propre lumière. J’imaginais aussi un monde où les humains faisaient leur propre photosynthèse et aspiraient la lumière. Les couleurs qu’on retrouve sur les peaux le reflètent, ça ne me semble pas irréel, juste un peu différent.
Citizen K : Les mains tiennent une place importante dans tes tableaux. Comment l’expliques-tu ?
Chloë Saï Breil-Dupont : Les mains ont quelque chose d’un peu mystérieux, connaître les mains de quelqu’un c’est comme connaître un visage, elles ont des signes très particuliers. Par rapport au fait que les mains tiennent des choses dans mes peintures, je pense que ça vient du fait que les mains attirent l’œil.
Citizen K : Dans tes portraits, les personnes regardent les spectateurs droit dans les yeux. Pourquoi ?
Chloë Saï Breil-Dupont : Je peins les regards de telle manière qu’ils te regardent peu importe où tu te situes dans la pièce, un peu comme la Joconde. L’envie que la personne qui rentre dans la pièce soit regardée partout permet d’offrir la douceur d’être regardé, considéré.
Citizen K : Où es-tu exposée en ce moment ?
Chloë Saï Breil-Dupont : En ce moment, j’ai une exposition à la Galerie New Child d’Anvers qui va durer jusqu’au 1er décembre. Il y a aussi l’exposition collective YOU ME ME YOU à la galerie Nicodim de Los Angeles qui accueillera mon solo show en février prochain.