×

CÉCILE DAVIDOVICI, BRODEUSE 2.0

Par ZOE TEROUINARD

Longtemps, la broderie a été l’apanage des femmes confinées au foyer. Avec Cécile Davidovici, cette pratique artisanale entre dans une nouvelle ère : celle de l’émancipation. Grâce à son travail commun avec l’artiste digital David Ctiborsky, la créatrice textile réussit à faire pénétrer la lumière dans un matériau opaque, insufflant de la vie à ses fils grâce à des compositions ultraréalistes, d’abord réalisées dans un atelier virtuel avant de prendre vie sur le tissu. Rencontre avec une brodeuse 2.0.

Ta pratique de la broderie se rapproche presque de celle de la peinture ultraréaliste. Pourquoi avoir choisi la broderie pour un tel rendu ?

C’est plutôt l’amour de la broderie qui m’a donné envie d’explorer des possibilités qui n’étaient pas ou peu explorées jusque-là. Aussi, j’avais envie de redonner de l’importance à cette pratique qui est encore aujourd’hui trop vue à travers sa forme domestique. Moi, j’ai démarré en faisant des photomontages et j’ai très vite eu envie de broder des peaux. Donc, j’ai inventé une technique qui m’a permis de pouvoir faire ça. Et je pense que ce qui rend le côté réaliste, c’est vraiment de créer des objets et des corps et de les rendre présents à travers le fil. 

Et comment tu t’y prends pour les rendre présents à travers le fil ?

Pour les peaux, j’ai développé une technique à base de croisillons qui me permet de créer un peu de transparence. Parce qu’en fait, en broderie, les fils sont opaques, et donc, contrairement à la peinture où tu peux jouer avec les glacis, en broderie, ce n’est pas le cas : rien ne transparaît. Du coup, j’ai créé cette technique qui me permet justement d’accumuler les couleurs de fils pour créer un peu cette transparence et recréer les rayons de lumière, ce genre de choses.

Est-ce que tu peux me parler de ton processus de travail ?

Depuis quelques années, en parallèle de ma pratique personnelle, je travaille avec un autre artiste qui s’appelle David Ctiborsky. Lui crée les compositions, en démarrant par un dessin, qu’il modélise en 3D, comme s’il avait un petit théâtre virtuel dans lequel il pose ses objets, ses lumières, sa caméra. Et une fois qu’on est contents de la composition, j’imprime l’image sur un drap, en général un drap vintage que j’ai chiné, et par la suite, je brode. Mon travail consiste à essayer de trouver les meilleures couleurs, celles qui se rapprochent le plus de la composition. Imprimer me permet de jouer avec les zones qui sont entièrement recouvertes de fil ou non, et donc, ça crée encore plus de profondeur et des effets de transparence. 

Il y a quelque chose de très contemplatif dans ton travail, comme si le temps s’arrêtait. Est-ce que tu peux me parler de ton rapport au temps ?

Je pense que ce n’est pas un hasard si la broderie est entrée dans ma vie peu de temps après le décès de ma mère, parce que c’était un moment où j’avais besoin de me blottir dans mes souvenirs et de retrouver du lien et surtout du sens. Je crois que je n’aspire pas pour autant à arrêter le temps. Mais je trouve ça intéressant de créer des ponts dans le temps et d’essayer d’explorer le lien entre l’actuel et l’éternel, tout ça à travers les strates de la mémoire. Pour moi, la broderie crée des ponts, parce qu’en fait, c’est très méditatif, et donc, ça permet de raccorder le présent et une certaine forme d’éternité. On n’a plus le temps d’être dans le présent… Et pour moi, créer de cette manière, ça a vraiment du sens. 

La pratique même de la broderie est assez lente aussi. Est-ce que tu peux me parler du temps que tu mets à composer une œuvre ? 

Ça prend beaucoup de temps. Et c’est aussi ce qui m’intéresse. J’ai l’impression que plus j’y passe du temps, plus je crée des liens avec l’histoire que je raconte dans l’œuvre. Il y a presque quelque chose de sacré, en fait, dans ce geste que l’on refait en permanence. 

Peux-tu développer le lien entre l’approche numérique de David et ta pratique, plus artisanale ?

Elles se complètent vraiment. David ne créerait pas ses œuvres numériques si ce n’était pas pour que je les brode ensuite. On trouve ça intéressant de créer des liens entre réel et virtuel, et d’essayer de faire ça de manière actuelle. Je pense que c’est un moyen d’essayer d’intégrer la broderie dans une époque, dans notre époque.

Artiste : Cécile Davidovici
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne
Location : Dame Restaurant