Si le bijou est un outil de séduction, il rime aussi parfois avec extravagance, un terme qui illustre les dérives de la parure à travers les époques et les civilisations.
Certains vont même jusqu’à modifier l’apparence de façon permanente comme le fameux collier spirale des “femmes girafes”. Sous-groupe du peuple Karenni, une minorité ethnique de l’ancienne Birmanie, les Padaung, aussi appelés Kayan, se singularisent par cet ornement qui leur a valu le nom de “tribu des longs cous”. Le processus commence alors que les fillettes viennent d’entrer dans leur cinquième année. La première spirale sera remplacée par d’autres, plus longues, au fil du temps. Il ne s’agit donc pas d’anneaux que l’on superpose. De même, il semble que les vertèbres du cou ne s’en trouvent pas affectées mais que les côtes, par contre, sont repoussées vers le bas. Véritables attributs essentiels, ces colliers ont suscité bien des digressions. Protègent-ils contre les morsures de tigre ou donnent-ils aux femmes une apparence proche de celle du dragon, animal légendaire révéré par les Padaung ? Dissuadent-ils les membres des autres tribus de s’amouracher de ces femmes singulières ou de les réduire en esclavage ? Bien des hypothèses auxquelles les anthropologues ne peuvent répondre. Toujours en vigueur, cette pratique liée à l’identité culturelle de l’ethnie correspond à une certaine idée de la beauté, comme d’ailleurs chez les “femmes aux bouches plateau”. Cette singularité exerce aussi un attrait certain auprès des touristes prêts à rallier les confins de la Thaïlande, là où se sont réfugiés les Kayans. À noter que les Ndébélés, en Afrique du Sud, ont aussi leurs “femmes girafes”. Leur parure pèse parfois jusqu’à 25 kilos, le prix à payer pour respecter la tradition !
LES COUVRE-ONGLES DE LA SINISTRE CIXI
Les bijoux de l’extrême ne visent pourtant pas uniquement le cou puisqu’en Chine, ils s’attachent à prolonger les ongles au-delà de toutes limites. Il semble que l’empereur Kangxi (1654-1722) les appréciaient particulièrement longs, ce qui aurait poussé ses concubines à trouver un moyen de les protéger. Le couvre-ongles est né. Symbole de statut, il fait partie intégrante de la tenue féminine de la haute aristocratie, au même titre que les semelles compensées. Oublier de les enfiler provoquerait à n’en pas douter un grave manquement. La redoutable impératrice Cixi les portait au majeur et à l’annulaire, une façon d’apporter encore plus de majesté et d’aplomb à sa gestuelle. Les siens sont en or, en argent, souvent sertis de pierres précieuses et de perles ou rehaussés de plumes de martin-pêcheur. Elle en possède aussi en jade ou en écaille de tortue évidée – voilà qui allonge encore à-propos les doigts que l’on aime fins et pointus, de 5 à 10 centimètres, pour les plus raisonnables ! Les critères de beauté varient à l’infini et le bijou s’est imposé depuis la plus haute Antiquité comme un adjuvant de choix. Curieusement, à l’origine, la parure concerne essentiellement les hommes. Ils veulent plaire et attirer la femme, s’inspirant du monde qui les entoure. Et comme le lion a sa crinière, le cerf, sa ramure et le paon, son plumage, l’homme va bientôt arborer des ornements au cou, aux oreilles, aux bras et dans les cheveux. Cette tradition, qui a bien évolué sous nos latitudes, se vérifie encore dans certaines tribus. Bientôt, le port des bijoux va indiquer le statut, évoquer la richesse, exprimer le pouvoir voire les sentiments, la foi ou la reconnaissance. Pourtant, très vite, l’ambiguïté surgit et les religions considèrent les bijoux comme des objets du diable, associés au mal, à la luxure et à la frivolité. On recommande même de ne pas en porter sauf pour les causes jugées comme justes. Ainsi, Judith se para de ses plus beaux bijoux pour séduire Holopherne et lui couper la tête ! Mais, peu à peu, l’Église veut affirmer son pouvoir grandissant et tirer parti du faste que l’or et les pierres précieuses peuvent lui infuser. Pour cette raison, les théologiens leur trouvent des excuses et ils sont désormais tolérés dans les cours du Moyen Âge, à tel point que l’on encourage à les porter à la gloire du Seigneur. Il est même dit que chaque homme chrétien se doit d’offrir à son épouse les plus belles parures qui soient car elles constituent le gage d’un amour profond. Le zèle avec lequel certains seigneurs appliquent les conseils de l’Église oblige le roi Philippe II d’Espagne à édicter en 1563 un décret réglementant le port des bijoux et des dentelles. À cette même époque d’ailleurs, quand le roi de France, François Ier, marie sa cousine Jeanne d’Albret à Guillaume, duc de Clèves, deux soldats sont chargés de porter la malheureuse de 13 ans qui ne peut avancer sous le poids des ornements précieux, symboles de sa dignité. Un témoignage de l’époque donne toutefois une version distincte : “La débile enfant qu’on traînait à l’autel avait une couronne d’or sur la tête et était comme écrasée sous le poids d’un long manteau cramoisi, doublé d’hermine et de jupes en toile d’or et d’argent, couvertes de pierreries. Elle ne voulut pas marcher à l’autel et l’on vit alors, sur l’ordre du roi, le grand connétable de Montmorency la saisir et l’y porter.” Voilà qui ressemble davantage à un mariage forcé !
UN SAPHIR DE 478 CARATS
Dans l’absolu, comme on le subodore ici, le port du bijou revêt une signification bien peu innocente. Des exemples plus récents apparaissent comme des clins d’œil à l’Histoire. Ainsi, la maison Cartier propose en 1919 un saphir de 478 carats serti en pendentif de collier. La reine Victoria-Eugénie d’Espagne ne manque pas d’essayer le bijou, espérant que son époux ait l’idée de lui offrir, mais le souverain le trouve par trop ostentatoire et c’est finalement le roi Ferdinand de Roumanie qui l’acquiert pour son épouse Marie en 1921. L’intéressée, qui adore la parure, resplendit comme une chasse, forte de ses gènes Romanov. Rien ne pourrait davantage indiquer son statut royal ! L’incomparable pierre finira par être vendue à Harry Winston et l’on pense qu’un admirateur l’achète alors pour Frederika de Grèce, une autre reine à la forte personnalité qui ne rechigne pas à arborer l’énorme saphir. En Grande-Bretagne, la reine mère Elisabeth reçoit en 1942 des boucles d’oreilles de la succession de son amie Margaret Greville. Porter ces diamants poire qui pèsent respectivement 20,66 et 20,26 carats n’a rien d’anodin, au point que le médecin royal le déconseille à la souveraine devenue centenaire, au risque d’arracher ses lobes. Qu’à cela ne tienne, un anneau de soutien sera adapté. Quand la coquetterie nous tient !