L’audace Schiaparelli a un nom

Par Christophe Vachaudez

Directeur de Schiaparelli depuis 2019, l’américain Daniel Roseberry a puisé dans l’ADN de la maison pour offrir des collections surprenantes, dominées par des harmonies noir et blanc, que transcendent des bijoux théâtraux aux proportions monumentales. 

Certains suffisent à habiller les mannequins qui défilent sans tenue, enveloppées d’ornements dorés d’une audace que ne renierait point la brillante Elsa Schiaparelli. Toujours à la pointe, cette parisienne d’adoption, née à Rome en 1890, s’impose bientôt sur la scène de la haute couture, proposant ses premiers trompe-l’œil en 1927, initiant ensuite des collaborations qui vont marquer sa carrière. En effet, à partir de 1931, Elsa Triolet, Meret Oppenheim, Jean Cocteau, Man Ray et surtout Salvador Dalí deviennent des habitués, dotant les créations de cette magicienne d’accessoires surréalistes. Non content d’avoir dessiné le chapeau escarpin, l’excentrique catalan esquisse des flacons de parfum et un poudrier en forme de cadran de téléphone. La bouche aux dents de perles et aux lèvres de rubis fait partie des bijoux iconiques qu’il imagine pour Elsa. De son côté, elle se tourne vers le gigantisme, livrant une énorme broche en forme d’abeille ou une paire de lunettes en écaille de tortue à cils surdimensionnés. Elsa, qui s’était installée, en 1935, au 21 de la place Vendôme, à l’hôtel de Fontpertuis, abandonne ses activités en 1954. Elle meurt en 1973 mais son art lui survit. L’enseigne renaît de ses cendres et donne sa chance à Christian Lacroix. En 2014, la maison renoue avec la haute couture et, en 2019, Daniel Roseberry insuffle un nouvel élan à ce nom mythique. Le texan laisse libre court à son instinct, plongeant dans le vocable foisonnant du passé, faisant des références implicites à Dalí, dans des compositions jubilatoires qui mettent à contribution la légèreté du laiton. Point d’or ou de pierres précieuses mais le règne de l’apparence au service de bijoux jouissifs qui séduisent Beyoncé, Adèle ou encore Lady Gaga, tout de Schiaparelli vêtue pour la prestation de serment du président des Etats-Unis. L’immense colombe de la paix timbrant son corsage apporte la touche finale à cet ensemble devenu célèbre dans le monde entier. Au dernier festival de Cannes, c’est le mannequin Bella Hadid qui opte pour un collier spectaculaire dont les arborescences dorées dissimulent sa poitrine. Rien de vulgaire ici mais une élégance infinie, hommage à Elsa. D’improbables couvre-ongles aux enroulements spiralés, des pendants d’oreilles frangés de canines, un corsage fleuri effleurant les seins, des yeux inquisiteurs aux lobes qui renvoient au génial Dalí, rien ne semble arrêter Daniel Roseberry, qui atteint les sommets avec sa robe cage en cuir moulé et doré, sans doute l’apothéose d’un culot maîtrisé, au service de bijoux éminemment outranciers. Soyons-en certains, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin !