Jeune artiste de la scène contemporaine, Bianca Bondi intrigue à travers des installations étranges dont la présence révèle bien souvent une absence. S’agirait-il de fantômes ? D’esprits ? Une discussion s’imposait pour tenter d’explorer ce nouveau monde loin du nôtre.
CitizenK International : Pour parler de spiritisme, vous souvenez-vous de vos premières rencontres avec la magie noire ou blanche ?
Bianca Bondi : Dès que la pensée magique est mise en action, elle devient automatiquement noire. La magie blanche, c’est écrire sur la magie, la magie noire, c’est avoir des intentions et mettre les énergies en mouvement. L’aspect important à garder à l’esprit lorsqu’il s’agit de pratiquer la magie est la règle de trois (“la triple loi”). Les manifestations que vous diffusez dans le monde finissent par vous revenir triplement. Je ne me souviens pas exactement comment cela a commencé, mais la première fois que j’ai pratiqué, j’avais moins de dix ans et j’étais dehors allongée sur l’herbe au bord de la piscine en train de m’échauffer, j’imaginais mon double corporel se séparant de ma forme physique. Cette entité vaporeuse pouvait voyager et alors je me retrouvais dans un espace désertique, étape par étape dans ce voyage très minimal où le but final était de communiquer avec quiconque pouvait être là. À onze ans, quand je faisais partie de mon premier rassemblement de sorcières, j’ai commencé à initier des amies car je pensais que c’était une expérience cool. En vieillissant et en m’instruisant davantage sur le spiritisme et l’occultisme, j’ai compris que j’avais pratiqué là une forme de projection astrale.
Votre art parle du temps qui passe et du fait qu’il y a peut- être des gens mais qu’ils ne sont plus là : pouvez-expliquer cette idée en relation avec l’idée de fantôme ?
Je me suis rendue compte que mon art tend à parler des humains par leur absence – un étang qui fleurit d’un lit échevelé, des chaises vides dans une salle d’attente, une scène de cuisine abandonnée avec les casseroles qui débordent sur la cuisinière. Et pendant que je suggère notre absence, j’élève la présence d’autres types de vie – la matière vibrante, l’aura des objets, la croissance moléculaire, etc. Sommes-nous les fantômes ou avons-nous peur de devenir des fantômes ?
Y a-t-il des histoires de fantômes – à travers des films, des livres ou des documentaires – qui ont inspiré ou peuvent être mises en relation avec votre art ?
Quand j’étais en école d’art, j’ai pas mal expérimenté en réalisant des courts métrages inspirés de films d’horreur de série B en Super 8 souvent avec des objets qui les accompagnaient. J’étais aussi vraiment fan du réalisateur Gregg Araki, donc les choses avaient aussi un côté assez pop. Étant une enfant des années 1990, j’ai absorbé bien sûr toutes les choses liées à l’occulte sur lesquelles je pouvais mettre la main (livres, magazines et les séries X-Files ou Buffy contre les vampires) mais je ne suis pas vraiment inspirée par les histoires de fantômes, c’est plus pour le plaisir et me distraire. Ce que je trouve inspirant, cependant, c’est de visiter diverses villes du monde et d’apprendre comment les gens enterrent leurs morts, les rituels et l’esthétique qui accompagnent ces moments de transition.
Avez-vous déjà ressenti la présence d’un fantôme dans certains endroits où vous avez été dans votre vie ?
Il y a eu quelques fois où j’ai été vraiment effrayée par des phénomènes inexpliqués. Par exemple, je ressens ce sentiment étrange qui se produit lorsque je rêve de parents décédés et que j’ai l’impression qu’ils essaient de m’avertir de quelque chose. Parfois, dans mes rêves, nous ne faisons que parler. Sinon dans d’autres rêves, ils m’appellent et pleurent au téléphone. Chaque fois que l’une de ces visites se produit, un grand événement dans ma vie a généralement lieu le lendemain ou dans les deux jours suivants. Malheureusement, c’est bien souvent quelque chose de mauvais. Maintenant, vu que cela arrive depuis des années, je le dis immédiatement à ma mère et à ma sœur et nous essayons de comprendre quel est l’avertissement afin de redoubler de prudence. J’ai aussi fait promettre à ma mère de me contacter quand elle sera dans l’au-delà.
Quel est pour vous le travail que vous avez réalisé qui se rapproche le plus de cette idée d’esprit fantôme ?
Une installation intitulée “Source sacrée et réservoirs nécessaires”, présentée lors de la Biennale de Lyon 2019. L’exposition se tenait dans les anciens bâtiments de l’usine Fagor-Brandt. Cette usine a eu une histoire particulièrement douloureuse, prolongée sur de nombreuses années avec des promesses sans lendemain et l’espoir d’une transformation promise jusqu’au dernier souffle. L’usine était une structure emblématique du 7e arrondissement de Lyon, la plupart des familles qui y vivaient étant impliquées d’une manière ou d’une autre dans son existence. C’était presque un rite de passage pour les adolescents d’avoir un emploi d’été dans cette usine. Quand je les ai découverts, les bâtiments étaient abandonnés depuis plusieurs années. J’ai appris que rien ne pousse sur ces anciens terrains et que les oiseaux n’y viennent même pas, ce qui m’a amenée à demander le rapport sur la possible toxicité du lieu. J’ai appris des choses sur l’étendue de la pollution du sol, à quelle profondeur les toxines de l’usine s’étaient infiltrées. Puis j’ai pensé au sel, un matériau incroyable, hygroscopique, absorbant l’humidité et les toxines, équilibrant le pH. Comme cette usine était spécialisée dans l’électroménager, j’ai décidé de mettre en valeur une vision de la cuisine idéale. Donc ici, à travers mon sel, je devais prendre cette scène et l’oxyder entièrement, lui permettant de faire mal mais aussi de purifier, littéralement et métaphysiquement. Je venais de perdre mon beau-père, qui nous avait élevées ma sœur et moi, après la perte de notre père biologique, qui fut son meilleur ami. Mon beau-père était mécanicien donc je me rappelais aussi bien de l’odeur de ce genre d’usines. Les deux semaines que j’ai passées seule dans cet espace, à saler ma cuisine, m’ont également fait faire face à ma propre perte. Après l’ouverture de la Biennale, j’ai été contactée par d’anciens employés qui avaient vu ce travail et voulaient me faire savoir qu’ils sentaient une connexion.
Finalement, à travers votre exposition, vous avez réussi à créer le contact. Quelles sont vos prochaines expositions ?
Une exposition personnelle pour le CRAC Occitanie, qui ouvre le 11 mars. Cela s’appelle “Objets en tant qu’actants” et parle de la capacité des choses inanimées à produire des effets. Je présenterai ensuite de nouvelles œuvres dans une exposition collective intitulée “Planet B : Climate change and the new sublime” organisée par Nicolas Bourriaud lors de la Biennale de Venise. En mai, je participerai à “Utopia” pour lille3000 et plus tard ce mois-là, je partirai en Lituanie pour créer une commande pour le programme public de Rupert, dans un bâtiment abandonné. Ensuite, il y aura des expositions collectives à Mexico, Prague et Nice.
Quel est pour vous le travail que vous avez réalisé qui se rapproche le plus de cette idée d’esprit fantôme ?
Une installation intitulée “Source sacrée et réservoirs nécessaires”, présentée lors de la Biennale de Lyon 2019. L’exposition se tenait dans les anciens bâtiments de l’usine Fagor-Brandt. Cette usine a eu une histoire particulièrement douloureuse, prolongée sur de nombreuses années avec des promesses sans lendemain et l’espoir d’une transformation
EXPOSITION “OBJECTS AS ACTANTS”
Crac Occitanie, 26, Quai Aspirant Herber 34200 SÈTE, jusqu’au 22 mai 2022
Pour plus d’informations : biancabondi.com