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BERNARDINO FEMMINIELLI

Bernardino Femminielli, ambianceur ambivalent

Par Justine Sebbag

À l’occasion de son concert-performance au festival Pete the Monkey à Saint-Aubin-sur-Mer (Seine-Maritime) cet été, nous avons rencontré l’inclassable Bernardino Femminielli. Véritable ovni de la scène musicale francophone, il manie avec une aisance toute singulière mots doux et lignes mélodiques. Armé de sa pornstach et de son timbre suave, Bernardino s’est forgé un personnage aussi flamboyant qu’énigmatique. Tentative de décodage.  

Citizen K : Bernardino Femminielli, qui êtes-vous ? 

Bernardino Femminielli : Je suis un artiste musicien de Montréal qui touche un peu à tout. Ça fait presque quatre ans que j’ai décidé de m’établir à Paris. Après environ dix ans à faire des allers-retours, j’ai décidé de m’y installer. 

Citizen K : Est-ce que vous vous sentez plus inspiré à Paris qu’à Montréal ? 

Bernardino Femminielli : J’ai été inspiré par Montréal pendant très longtemps. Ma période en tant que restaurateur, puis performer, m’a épuisé et mes projets se sont terminés là-bas. Il y a pas mal de choses qui m’ont poussé à partir de Montréal. Tu plafonnes rapidement sur cette scène-là, c’est très difficile d’y faire sa carrière en tant que musicien et en tant qu’artiste un peu en marge de certains codes. Je ne dirais pas qu’en France c’est plus facile, parce qu’on te catalogue beaucoup, on essaie de te mettre dans une case, mais mon statut ici est celui de musicien, tandis qu’à Montréal, j’étais un touche-à-tout, c’est ça qui est un peu différent. Ici il faut être un peu plus concis parce que tu es dans un système et c’est une bonne chose dans un sens. 

Citizen K : Où composez-vous ? 

Bernardino Femminielli : En studio, à la maison. Maintenant j’écris beaucoup de paroles, beaucoup d’histoires, de scripts pour développer ce que je fais sur scène. Je n’ai pas de studio, je travaille dans différents studios. 

*Il renverse son Club-Mate sur son pantalon*

Citizen K : C’est votre tenue de scène ? 

Bernardino Femminielli : Non ce n’est pas mon pantalon de scène, mais c’est surtout ma veste Mugler que je ne veux pas tacher. 

Citizen K : Parlons de votre style justement. Avez-vous toujours eu ce look ou a-t-il évolué ? 

Bernardino Femminielli : J’ai eu tous les styles quand j’étais jeune. Je suis passé d’un style skateur à un style queer si on peut dire. Je portais du maquillage et je me colorais les cheveux de toutes les couleurs. Après j’ai essayé d’avoir un look plus rangé mais finalement je ne voulais pas non plus rentrer dans une case. Dans ma famille, tout le monde porte une moustache ; ça donne un air un peu latin lover

Citizen K : J’ai lu quelque part que vous étiez “un provocateur hyper sexuel et asexué”. C’est assez étonnant. Qu’en dites-vous ? 

Bernardino Femminielli : J’aime bien cette contradiction dans ma personne. J’ai ce désir de provoquer quelque chose de sulfureux, de très érotique. Il y a de l’amour aussi, un truc très charnel et sensuel, mais il y aussi ce côté asexué parce que je suis assez froid en fait par rapport à ça. Je peux en parler de façon assez directe mais je suis plus un voyeur finalement. Ou un voyeur dans un voyeur, j’observe quelqu’un d’autre regarder. C’est peut-être de là que vient le côté asexué, ce n’est pas moi qui termine le coït en fait. Il y a une interruption du coït. Ce n’est même pas réprimé, ou alors si ça l’est, ce n’est pas plus mal parce que le public attend ça parfois. Par moments, les concerts peuvent devenir des culs-de-sac quand tu ne donnes pas aux gens ce qu’ils veulent et, parfois, tu leur en donnes encore plus. C’est déroutant et beaucoup plus poétique. C’est beau le mystère. 

Citizen K : Dans vos textes, vous abordez souvent l’amour et la sexualité…

Bernardino Femminielli : Je parle de tout. Des choses qui me passent par la tête, des choses plus inconscientes comme le désir, certaines rages, certaines questions compliquées. 

Citizen K : Y a-t-il quelque chose dont vous ne pourriez pas parler ? 

Bernardino Femminielli : Je ne peux pas vraiment répondre à cette question parce que ça évolue. Il y a des sujets inconfortables. Je pense qu’on peut parler de tout mais qu’il faut être subtil. Il y a deux poids, deux mesures. Il faut se demander comment bien amener un sujet sur lequel tu pourrais te faire réprimander et ne pas s’approprier une histoire qui n’est pas la tienne. C’est là où le terrain est glissant, parce que notre perception d’une histoire ne sera jamais la même que celle de la personne qui l’a vécue. 

Citizen K : En parlant de s’approprier quelque chose, il me semble que Femminielli n’est pas votre vrai nom. Pourquoi avoir choisi ce patronyme ? 

Bernardino Femminielli : C’est venu d’une envie d’avoir une lecture intime de ma propre personne. C’est ma quête personnelle, je remets constamment en question mon identité sexuelle. Il y a aussi un truc théâtral, un peu divin, assez mystérieux que j’aimais beaucoup. C’était aussi pour protéger ma famille et rester anonyme dans un sens. Sur scène, c’est autre chose. C’est un autre personnage mais il y a quand même une certaine continuité. 

Citizen K : J’ai entendu dire que vous étiez un oiseau de nuit. Qu’est-ce qui vous attire dans le monde noctambule ? Les rencontres, l’imprévu, l’ivresse ? 

Bernardino Femminielli : Il y a cette espèce de sérénité, de calme qui arrive après s’être posé autant de questions durant la journée. J’ai besoin de sortir, tout en gardant mes habitudes, en me rendant dans les mêmes endroits. Parfois j’aime faire ça seul, croiser des gens et voir ce qui arrive. Parfois il s’agit de faire de longues marches, ne croiser personne, se recueillir. Je réalise de plus en plus que je suis plus productif le soir. Faire de la musique, des tournées, ce sont des horaires compliqués. D’autant que j’habite avec mon épouse et mon petit chien dans un 35 mètres carrés, donc c’est finalement assez compliqué d’être un oiseau de nuit. Des fois, je le suis et, d’autres fois, je ne le suis pas. C’est un peu un privilège d’être un oiseau de nuit, de sortir dans l’ivresse et de rencontrer des gens.

Citizen K : Vous préféreriez refaire le même concert toute votre vie ou ne plus jamais faire de concerts ? 

Bernardino Femminielli : Parfois j’aimerais ne plus faire de concerts du tout. La dernière fois que j’ai ressenti ça, c’était en Toscane il y a quelques semaines. Je jouais à un événement privé, une sorte de pool party psychédélique, qui était sur invitation. J’étais bien démonté pendant cette performance, je me baignais tout le temps. J’ai commencé par des chansons hyper disco, chargées de décadence et d’hédonisme avant de changer de ton pour aller vers quelque chose de plus tragi-comédie. Ça s’est terminé comme ça, un peu comme un chant de cygne, et j’ai senti que c’était la fin d’un chapitre.