La sortie du film Barbie (2023), réalisé par Greta Gerwig, s’accompagne d’une publicité massive qui nous fait craindre une overdose de rose imminente. Et si l’on ne donne pas cher de la tendance barbiecore qui risque de nous lasser rapidement, la poupée Mattel nourrit l’imagination des designers de mode depuis des lustres. C’est notamment vrai pour l’iconoclaste Martin Margiela, qui doit une fière chandelle à Barbie pour avoir fait naître en lui le désir de créer des vêtements. Retour sur cette source d’inspiration pour le moins inattendue.
Né sous le signe du Bélier le 9 avril 1957, Martin Margiela grandit dans la ville minière de Genk en Belgique. Pendant son enfance, il se rend régulièrement dans le salon de coiffure de son père, où il observe attentivement les gestes de son paternel et les interactions entre clients. Dans le documentaire Martin Margiela: In his own words (2020) réalisé par Reiner Holzemer, le créateur – dont on ne voit que les mains – attrape une boîte sur laquelle on peut lire MEUBLES “BARBIE”. Il en sort des accessoires de salon de coiffure miniatures et des perruques destinées aux poupées Barbie, dont il explique avoir parfois teint les cheveux lorsqu’il était enfant. Il manipule le tout avec un grand soin, démêlant et coiffant ces minuscules crinières. Mais le jeune Margiela ne jouait pas seulement au coiffeur. Il n’hésitait pas à découper le bout des chaussures de ses poupées Barbie en s’inspirant de Courrèges, dont il a découvert les collections à l’âge de 7 ans à la télévision. Enfant plutôt solitaire, Martin Margiela tenait un carnet dans lequel il dessinait des tenues avec des chutes de tissus que lui avait données sa grand-mère couturière. Dans les années 1970, il crée ses premiers vêtements au format miniature pour ses poupées Barbie. Habillée d’un blazer gris en flanelle inspiré d’Yves Saint-Laurent, sa poupée a déjà tout d’une silhouette Margiela avec ses épaules marquées et ses coutures apparentes.
Diplômé de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, il assiste un temps Jean-Paul Gaultier avant de lancer le label Maison Margiela avec Jenny Meirens en 1988. Le créateur se fait rapidement un nom dans le monde de la mode, qui salue son approche novatrice et sa déconstruction du vêtement. Il dissèque le vêtement afin d’en comprendre le fonctionnement pour ensuite le recréer. Pour son défilé automne-hiver 1994-1995, Martin Margiela retombe en enfance avec la collection « A Doll’s Wardrobe ». Son idée est de prendre les habits de Barbie et Ken puis de les agrandir, en conservant la coupe, à taille réelle. Les vêtements ne tombaient pas bien sur les corps, notamment les mailles mais c’est exactement l’effet que recherchait Margiela, l’impression de voir des vêtements de poupée sur des personnes en chair et en os. Ces pièces, qui sont devenues rarissimes aujourd’hui, sont reconnaissables par leur étiquette qui indique : « Reproduction d’un vêtement d’une garde-robe de poupée – (Finitions et disproportions se retrouvent à taille humaine) ».
L’influence des vêtements de poupée est indéniable dans le travail de Martin Margiela, qui continuera de s’y référer dans ses recherches et ses collections jusqu’à son départ de Maison Margiela en 2009. Si l’on dit souvent du créateur qu’il a révolutionné la mode, on entend moins l’histoire qui raconte que tout a commencé grâce à une Barbie.