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Where do the noses go?, 2021, 60 x 73 cm © Xinyi Cheng

La vie ordinaire de Xinyi Cheng exposée à Lafayette Anticipations

Par Justine Sebbag

L’artiste d’origine chinoise Xinyi Cheng dévoile jusqu’à la fin du mois de mai son trait de peinture intimiste à Paris, dans une exposition regroupant une trentaine de ses toiles à Lafayette Anticipations, la fondation d’art des Galeries Lafayette.

Après les excentricités plastiques du créateur Martin Margiela, ce sont les tableaux sensibles et colorés de la peintre Xinyi Cheng qui sont présentés dans le cadre de l’exposition Seen through others, à découvrir à la fondation Lafayette Anticipations, dans le quartier du Marais à Paris, jusqu’au 28 mai. 

Parisienne d’adoption 

Adolescente, Xinyi Cheng découvre Les Nymphéas de Monet lors d’un voyage à Paris. Elle arpente les musées incontournables de la capitale, d’Orsay à l’Orangerie, où elle observe les toiles des grands maîtres et s’imagine dialoguer avec eux. Ce voyage lui donne l’impulsion de devenir peintre et la lie pour toujours à Paris, où elle vit et travaille aujourd’hui. 

Son amour de la capitale semble être réciproque car ce n’est pas la première fois que son travail est exposé à Paris. Il y a d’abord eu fin 2020 l’exposition Anticorps au Palais de Tokyo, qui partait de la question « Pourquoi nos corps devraient-ils s’arrêter à la frontière de la peau ? », posée par la philosophe Donna Haraway. Ensuite, a eu lieu en mai 2021 l’inauguration de la Bourse de commerce, où ses œuvres ont côtoyé celles de Miriam Cahn, Florian Krewer ou Kerry James Marshall. 

Placée sous le commissariat de Christina Li, Seen through others est la première exposition solo de Xinyi Cheng et se déploie sur les trois niveaux de Lafayette Anticipations, où sont présentées une trentaine de peintures à l’huile, réalisées entre 2016 et 2021. 

Une mise en abyme  

Le titre de l’exposition Seen through others (être vu à travers les autres) nous met sur la piste d’une mise en abyme. L’artiste nous donne à voir ce qu’elle a réussi à percevoir d’elle-même en représentant les autres. Cette accumulation de perceptions permet à Xinyi Cheng d’illustrer des questionnements contemporains tels que les rapports humains ou la masculinité. 

Elle pose un regard bienveillant sur les hommes qu’elle représente parfois dénudés, moins pour les érotiser que pour dévoiler leur vulnérabilité. S’inspirant de ses rencontres et puisant dans son imagination, Xinyi Cheng tente de retranscrire la condition humaine par les sentiments multiples qui en émanent. On retrouve la douceur de l’intimité à travers les peaux qui se frôlent (Tango Class), le regard tendre d’un homme (Pomegranate) ou d’un animal de compagnie (Monroe). Mais aussi de la solitude (White Turtleneck) et des angoisses qui prennent la forme d’une chute (Red Kayak) ou celle d’un tourbillon (Whirlpool). Avec l’œuvre Where do the noses go ? (2021), l’artiste ajoute une touche d’ironie qui tranche avec la banalité du baiser représenté. 

Transcender l’ordinaire 

Dans le livre La Vie Ordinaire, la philosophe Adèle Van Reeth se questionne sur un sentiment d’intranquillité qui surviendrait dans les moments les plus anodins du quotidien. Ce sentiment, qui n’est ni de l’angoisse ni de l’inquiétude, serait comme un sursaut nous rappelant que nous sommes bien vivants. 

Pour l’autrice, ce moment serait une simple manifestation de l’« intranquillité ordinaire ». Et c’est cette même intranquillité ordinaire que l’on retrouve sur les toiles de Xinyi Cheng. Une cigarette allumée, une caresse ou un baiser échangé, des regards dans le vide…, autant de moments suspendus que l’on peut voir dans des films mais sur lesquels on ne prend pas nécessairement le temps de s’attarder dans la vie, où tout s’enchaîne sans qu’on y prête attention. Xinyi Cheng, elle, s’y éternise avec délicatesse et encourage les spectateurs à faire de même. Après tout, comme le chante l’artiste Jacques sur son dernier album, « Il n’y a rien de plus vital que le vide de tous les jours ».