Longtemps, l’Histoire de l’Art n’a proposé qu’un seul regard, qu’un seul corps, qu’une seule féminité. Une constante que refuse Stefania Tejada, peintre colombienne vivant et travaillant aujourd’hui à Paris. Inspirée par la nature luxuriante de son enfance mais aussi par la femme dans son ensemble, son oeuvre est une ode à la féminité, qui revet autant de formes que l’artiste a de modèles.
Quel dialogue cherches-tu à créer entre la figure féminine et la nature ?
Je vois la femme et la nature comme des éléments inspérables. Elles sont le reflet l’une de l’autre, complètement libres dans leur présence. Elles ont le pouvoir de créer des vies et des univers. Mon travail les réunit dans des paysages tropicaux qui rassemblent tout ce qui me berçait quand j’étais enfant. Ce sont des lieux qui m’ont aidé à accepter l’esprit de ma nature quand je suis devenue femme. Pour moi, ce sont les lieux où les femmes et la nature deviennent une seule entité. Et dans mon travail, je regarde les deux. Les deux sont vraiment des symboles de résilience, de pouvoir, de complexité.
Ces femmes contrastent avec une histoire de l’art très blanche. Tu représentes un éventail beaucoup plus large de physiques, que ce soit en termes de couleurs de peau, de textures de cheveux, même d’âge…
La diversité reste au cœur de mon travail. Je peins la diversité de mon pays, de mes origines colombiennes. C’est important de dire que cette représentation est intentionnelle parce que grâce à tous les voyages que j’ai fait, que ce soit aux Etats Unis ou dans des pays européens, je peux aujourd’hui regarder le concept de l’autre et, à travers mon propre regard, comprendre les mises à distance. Dans mon travail, je cherche à créer en espace d’union, où j’essaie de diminuer ces distances, de reconnaître que nous sommes une humanité, nous sommes une identité. Je peins comme un acte de reconnaissance et de respect.
Tu sembles aussi avoir un lien très étroit avec la mode. D’où est ce que te viens cette passion et comment conjugues-tu peinture et mode ?
Je viens d’une petite ville et à un moment très important de ma vie, j’ai trouvé le seul magazine international, Vogue America. Ça a été pour moi comme une fenêtre ouverte sur le monde. C’était la première fois que je pouvais voir, que je pouvais imaginer une vie qui se place dans un lieu créatif. Ce n’est pas seulement la mode : dans ce magazine, tout était connecté avec l’art, avec l’architecture. Tous les arts font partie d’un monde qui se complète. Plus tard, j’ai fait des études dans le dessin de mode à Bogota. C’est comme ça que j’ai commencé à étudier l’Histoire de l’Art. Comme je disais, tout était connecté, parce que quand tu penses les gestuelles, les textiles, il y a un lien entre les deux pratiques. Dans mon travail, j’utilise les vêtements comme un art de la communication, une manière de raconter l’Histoire, de parler de différents concepts, de manières de vivre la vie, de manières de penser…
Tu as aussi travaillé avec des marques qui ne sont pas du monde de la mode. Est ce que c’est difficile de rester fidèle à ton art dans une démarche commerciale ?
De mon expérience, une collaboration avec une marque commerciale, c’est vraiment comme une communication, un dialogue créatif. Ça commence de la même manière que quand tu rencontres une nouvelle personne, que tu es confronté à une histoire culturelle différente et que tu te poses dans un lieu de curiosité. Tu lui poses des questions sur ses objectifs, sa manière de voir la vie, sa manière de penser. Ton travail, en tant qu’artiste, c’est de transformer le brief ou l’idée initiale. Pourquoi c’est important pour moi les projets commerciaux ? Parce que je pense que le monde de l’art est parfois un peu exclusif et peut être excluant de certaines communautés. Et ça, c’est une manière d’arriver à placer l’art dans des espaces qui sont éloignés des espaces d’exposition habituels. De cette manière, je peux partager avec des différentes communautés et créer un espace pour ces gens pour qu’ils puissent participer au dialogue.
Artiste : Stefania Tejada
Journaliste : Zoé Térouinard
Vidéaste : Ervin Chavanne