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Stanley

STANLEY FEVER

Par JULIAN DE SOUVIGNY

C’est un drôle de symbole pour notre époque : pendant que la fast fashion s’essouffle et que la planète étouffe, c’est une gourde en inox – conçue pour les randos boueuses et les pauses café sur un tronc d’arbre – qui s’impose comme l’objet mode ultime. Ce n’est pas un sac Hermès. C’est une Stanley. Et elle est partout.

À l’origine, la Stanley était l’apanage des puristes de l’outdoor. Ceux qui vivent en polaire, chaussés pour le trail, toujours prêts à dégainer leur thermos pour une gorgée de café brûlant au sommet d’un col. Discrète, robuste, pratique. Rien de très sexy, en somme.

Mais ça, c’était avant que la nouvelle génération ne s’en empare. Une génération qui transforme l’utile en accessoire de mode, et l’accessoire en manifeste. Aujourd’hui, la Stanley Quencher – avec sa forme trapue, sa poignée massive et sa paille bien droite comme un drapeau – a quitté les sentiers pour s’inviter dans les studios SoulCycle, sur les front rows de Coachella, et bien sûr dans les reels des it-girls et it-boys les plus bankables. Coloris pastels, finitions mates, éditions limitées à traquer comme un drop Yeezy… La Stanley ne sert plus à boire. Elle habille.

Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il faut remonter à ses origines. Stanley, c’est une marque centenaire. Son premier thermos, lancé en 1913, était taillé pour les bosseurs, les vrais. Ceux qui posaient leur gourde à côté d’un sac de sport élimé et d’une bouteille de Gatorade oubliée. À l’époque, le sport, c’était de la sueur, pas un lifestyle.

Mais le monde a changé. Le sportswear est devenu chic. Nike collabore avec Jacquemus, Serena Williams fait la une des magazines de mode, et la culture athlétique s’infiltre partout : musique, mode, réseaux. L’eau est devenue un statement. Le bien-être, un statut. Et la Stanley ? Elle a juste pris le train en marche – mais en première classe.

Car il ne s’agit plus seulement de s’hydrater. Il faut le montrer. C’est devenu un rituel codé. Dans une ère où l’on performe la healthy life à coups de leggings techniques, de douches froides et de bowls d’açaï aussi photogéniques qu’indigestes, la Stanley s’impose comme un objet-totem : 1,2 litre de style à siroter comme on scrolle.

À la salle, elle fait figure de trophée. Dans le métro, elle frôle les sacs Telfar. À L.A., elle s’affiche comme un sac Balenciaga : voyante, massive, assumée. Sur TikTok, on décortique ses couleurs comme un look runway. Et celle qui a réussi à choper la Quencher Shale pendant le drop Target ? Clairement au sommet de la pyramide sociale.

Mais le vrai coup de maître de Stanley, ce n’est pas juste le design. C’est la tension. L’art du manque. Des éditions limitées, des ruptures organisées au millimètre, des restocks fantômes… La gourde devient une sneaker. On la chasse, on l’échange, on la collectionne. Et surtout, on la connecte. Avec Starbucks, Olay, CupShe… Des collabs parfois improbables, mais toujours virales.

Résultat : la Stanley devient symbole. Comme une Air Max ou une Supreme x Louis Vuitton, elle raconte quelque chose de nous, de notre rapport aux objets. Elle parle de notre besoin de constance dans un monde trop instable.

Ce qu’on boit a son importance. Mais ce dans quoi on boit ? C’est encore plus révélateur. La Stanley est massive, assumée, presque genrée sans l’être. Pas girly, pas virile. Juste puissante. Elle est à la gourde ce que le Birkin est au sac : une déclaration.

Alors, face à cet objet devenu culte, que faire ? Se moquer ? L’adopter ? Ou simplement continuer à boire stylé·e, paille oversize en bouche, notifs activées, toujours prêt·e à bondir sur la prochaine collab glacée.

Car oui, la Stanley est partout.
Et vous, vous l’avez ?