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Silvia Venturini Fendi Crédit Photo: Antoine Henault

Silvia Venturini Fendi ne fait pas les choses à moitié

Par LAURENT DOMBROWICZ, Photos ANTOINE HENAULT

Avec la collection homme printemps/été 2022 qui semble traverser par un grand coup de ciseau, Silvia Venturini Fendi ne fait pas les choses à moitié. 

Dans la Fendi Family, nous choisissons donc Silvia, à la fois femme de tête et matriarche bienveillante, auteure géniale des best-sellers maison (Baguette, Peekaboo…), qui semble traverser les décennies avec sérénité. Elle a sauté sur les genoux de Karl Lagerfeld avant d’en devenir la complice. Marque de fourrure devenue griffe mondiale de luxe, désirable et désirée, Fendi a toujours cultivé sa différence avec ses savoir-faire spécifiques, sa profonde romanité et un sens de l’ironie si rare à notre époque. À la tête de la ligne masculine et des accessoires, Silvia Venturini Fendi a imaginé un été 2022 joyeusement raccourci qu’elle nous explique dans cet entretien transalpin.

CitizenK Homme : Cet art de décaler les choses, de ne pas considérer le luxe comme une discipline trop sérieuse, c’est très Fendi. Et en particulier dans cette collection…

Silvia Venturini Fendi : Cette ironie est liée à tout ce que j’ai vécu et vu ici chez Fendi. Il ne faut pas oublier que FF, ce n’est en fait pas un monogramme mais l’abréviation de Fun Fur. Déjà à l’époque, l’idée était d’amener de la légèreté dans un métier qui ne l’était pas du tout, que ce soit dans les pièces en fourrure elles-mêmes qui étaient lourdes et très construites mais aussi dans l’image que cela renvoyait, socialement parlant. Cette envie de légèreté donnait également envie aux femmes de faire des choix plus personnels, de manière assumée. Ce sont des choses que j’ai apprises en regardant les cinq sœurs et Karl Lagerfeld. Surprendre, changer les règles, c’est bien de cela qu’il s’agit. Avant moi, il n’y avait pas de collections homme chez Fendi. J’ai donc abordé la question de la même manière. C’était d’autant plus nécessaire pour le vestiaire masculin qui en avait vraiment besoin à l’époque. Ces dernières années, on a vu une véritable libération des codes pour l’homme et cela a amené une vitalité que nous accompagnons chez Fendi. J’aime travailler en gardant ce sens de l’ironie, de liberté dans tout ce que je fais. Prenez la veste crop qui est très présente dans la collection. Dans cette version ultra courte, on lui amène de la joie, du sexy, qui sont évidemment liés à l’image de l’homme aujourd’hui, où les barrières semblent enfin avoir explosé. Montrer la peau me semblait important également.

La frontière entre le business et le loisir a majoritairement disparu dans le vestiaire masculin. Mais il y a toujours une partie de réalisme nécessaire sans pour autant négliger l’impact visuel, le style. Comment établissez-vous l’équilibre entre les deux ?

J’ai toujours travaillé sur la fonctionnalité. C’est le point de départ quand on dessine des sacs, ce qui est mon cas depuis mes débuts. Je suis quelqu’un de très pratique, j’aime quand la mode est ancrée dans la réalité. Quand on parle de confort, ce n’est pas le look pyjama qui a été le nôtre pendant les moments de confinement mais celui de vêtements qui accompagnent les mouvements, qui ne les entravent pas, réalisés dans des tissus souples. Ce qui compte et ce qui fait l’élégance, c’est quand la personne est en adéquation avec ce qu’elle porte. J’adore les gens qui ont un look comme un uniforme, qui portent toujours le même genre de vêtements, de couleurs, de sac, etc. Ce que je recherche, c’est l’identification de cette signature, de ce qui fait par exemple qu’une veste Fendi ne ressemble pas à une autre.

On en revient au design, une autre de vos passions, où le style et la fonction ne font plus qu’un.

En fait, je ne sais pas si, dans mon processus de création, je pars de l’idée “mode”, ou de la fonction. Je cherche à faire des choses belles, réelles, mais pas “boring”. Être “juste” à un moment donné, c’est lié au fait de faire des choses vraies.

Parlez-nous de votre passion, voire de votre obsession pour les motifs marbre qui sont présents dans beaucoup de collections, toutes lignes confondues, y compris dans cette collection homme été.

Oui, c’est vrai mais c’est très naturel chez moi. C’est très italien et cela vient peut-être de toutes ces églises que j’ai visitées étant petite. Et puis ici au Palazzo Quadrato, nous sommes entourés de marbre. On peut lire dans les veines du marbre comme on le ferait avec un test de Rorschach. Une lecture qui nous permet aussi de nous échapper, de laisser l’esprit voyager. Cela devient presque un nouveau motif animalier.

Cette collection, vous l’avez présentée sur le rooftop du Palazzo justement. On n’aurait pas pu rêver d’un plus bel endroit, surtout au coucher du soleil. Comme si la collection et l’environnement ne faisaient qu’un, encore une fois. Ni ailleurs, ni autrement. 

Je voulais quelque chose de très personnel et de quasi immatériel. Comme si les garçons marchaient dans l’air, dans une situation décontextualisée. Sans raconter une histoire. Pour être sincère, l’idée du rooftop n’est pas arrivée tout de suite car on sortait de la partie dure de la pandémie, on ne savait pas encore quel type de présentation ou de défilé on allait pouvoir faire, où, comment etc. Ce qui comptait, c’était de parler de liberté et de légèreté, de parler d’un “moment”. Donc, pensé oui, figé non. Le lieu s’est décidé un peu à la dernière minute ! On a dû apprendre, de toute façon, à être flexibles dans nos choix. J’aime les choses très spontanées, fraîches… Je n’aime pas trop planifier ou repenser trop souvent aux choses sinon elles perdent leur immédiateté.

J’ai l’impression que c’est un autre point que vous partagiez avec Karl Lagerfeld.

C’est sans doute pour cela qu’il arrivait toujours avec deux heures de retard (rires).

Silvia Fendi, Miuccia Prada, Donatella Versace… Même si vous êtes entourées d’hommes, on a l’impression que la mode italienne est aujourd’hui majoritairement aux mains des femmes, créativement parlant en tout cas. Pour un pays traditionnellement macho, c’est plutôt une bonne nouvelle !

C’est notre moment, en effet. Pendant des décennies, ça n’aurait sans doute pas été envisageable. Mais en même temps, dans l’histoire de ma famille, c’est tout sauf une coïncidence. J’ai été élevée, programmée presque pour occuper cette place. Enfant, j’étais un vrai garçon manqué. Ma mère ne m’a jamais habillée avec une robe rose de petite fille (rires).