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La future ville du milliardaire américain Marc Lore, baptisée Telosa, sera érigée en plein désert afin de créer un avenir plus équitable et, surtout, durable © TELOSA

Quels visages auront les villes alpha de demain ?

Par AGNÈS VILLETTE

Les hommes les plus riches de la planète ont des projets pour vous ! Faites vos cartons, car ces plans de villes sorties du désert, de cités flottantes ou de villes-États en Amérique centrale auront bientôt besoin d’habitants. 

À d’autres époques, cela aurait pris la forme d’un château, comme ce fut le cas pendant la Renaissance avec la construction de vastes domaines érigés par des architectes italiens. Au XIXe siècle, cela aurait été de grandioses ensembles immobiliers dus à des chevaliers d’industrie. Au XXIe siècle, changement d’échelle : ce sont à présent de faramineuses mégapoles. L’hubris des milliardaires n’ayant pas de frein et l’étendue de leurs fortunes dépassant toute imagination, ce sont des villes entières qui proposent de tacler les limites du possible. Avant même que les premières pierres ne soient posées, des sommes mirobolantes sont dépensées pour en assurer la communication. Toutes ces villes aux noms évocateurs et futuristes n’en sont qu’au stade de la création, pourtant leurs créateurs multiplient conférences et films promotionnels. Une manière de séduire de futurs habitants. 

HYPER LUXE ET ENTRE-SOI

Si la perspective de colonies sur Mars ou de stations orbitales entre Terre et Lune n’est encore qu’une projection de science-fiction, les fortunes amassées par les rejetons les plus talentueux de la Silicon Valley ne demandent qu’à être dépensées. Dernier apanage de l’esprit pionnier qui a caractérisé l’esprit colonisateur et conquérant de la culture américaine capitaliste, ces nouvelles villes perpétuent le même objectif : repousser toutes les limites et trouver un débouché à d’immenses fortunes. Mais voilà, la Terre est déjà saturée et surpeuplée ! Ces villes phares s’envisagent comme des fantasmes qui projettent l’ego de leur créateur plutôt qu’elles n’imaginent d’autres formes de vie sociale. Si l’utopie se fait rare, l’urbanisme technophile fait encore rêver. Elles varient peu dans leur style ou leurs caractéristiques urbaines, et sont immanquablement démesurées, connectées, hyper léchées et surtout inclusives. Elles offrent à un happy few une vie d’entre-soi et d’hyper luxe.

« Ces villes phares s’envisagent comme des fantasmes projetant l’ego de leurs créateurs plutôt qu’elles n’imaginent d’autres formes de vie sociale » 

C’est ce que propose la ville de Telosa, invention du milliardaire américain Marc Lore. Annoncée en 2021, la ville sera construite au milieu d’un désert américain et devrait héberger jusqu’à cinq millions d’habitants. Si le projet célèbre une ville inclusive, ouverte et créative, les projections visuelles de Telosa, réalisées avec des logiciels de CGI, divergent peu d’autres projets urbains comme, par exemple, la ville de NEOM, imaginée dans le cadre de Vision 2030 par l’élite d’Arabie saoudite. Située à quelques centaines de kilomètres de la mer Rouge, NEOM semble droit tirée d’un livre de science- fiction. Dotée de paysages fantastiques comme des plages phosphorescentes surplombées d’une lune artificielle, la ville sera plantée au beau milieu du désert. De nombreux emplois seront occupés par des robots : femmes de chambre, officiers de sécurité, livreurs, etc. NEOM sera intégralement piétonne, dénuée de voitures, elle sera desservie par des taxis volants. Toutefois, dans l’immédiat, l’avancée du projet est ralentie par des controverses politiques et, comme l’avancent ses détracteurs, la plupart des inventions technologiques annoncées sont toujours en phase de développement. 

Ce rêve de ville-monde, totalement indépendante, correspond au vieux rêve libertarien de créer des villes-nations capables de s’auto-gouverner. Peter Thiel, le fondateur de PayPal, a bien compris qu’une ville n’échappe jamais à la juridiction du pays où elle est construite. Aussi, il s’est investi dans le seasteading, c’est-à-dire la construction de villes flottantes, au milieu des eaux internationales. C’est en Polynésie française que le premier projet de ville flottante développé par le Seasteading Institute a d’abord été annoncé, avant que les autorités de Tahiti ne se rétractent. Censée héberger 250 habitants, la ville est imaginée tel un archipel flottant, autonome et souverain. Ces villes modulaires proposent de déplacer l’ethos de la Silicon Valley qui prône des valeurs d’innovation, d’expérimentation technologique et de liberté vers des micro-nations offshore qui seraient gérées à la manière d’une start-up.

DES TOURS INSPIRÉES DE LA STATUAIRE AFRICAINE

Avant d’être flottante, c’est peut-être sur une île au large du Honduras, en Amérique centrale, que la première ville privée sera construite. Próspera est un projet porté par des investisseurs de la Silicon Valley, en particulier Patri Friedman, le petit-fils d’un célèbre économiste libéral, prix Nobel d’économie. Próspera sera une “villecharte” imaginée sur le modèle des villes marchandes comme ont pu l’être Venise ou les comptoirs de l’époque coloniale. Dans la lignée des Afro-Futuristes qui projetaient une vision de la diaspora noire vers un futur technoïde et spéculatif, le rappeur américano-sénégalais Akon a posé en 2020 la première pierre d’une ville qui portera son nom. Le panneau AKONCITY est bien planté au Sénégal, mais les 55 hectares retenus pour la construction sont toujours vacants. Pourtant les plans de la ville de 300 000 habitants située au bord de l’Atlantique a tout pour faire rêver : casino, stade, centre d’affaires, logements, etc. La ville sera totalement alimentée à l’énergie solaire. Pour son créateur, AKONCITY doit devenir le flambeau du développement en Afrique et célébrera la culture africaine qui est d’ailleurs au cœur des propositions architecturales, comme ces tours qui sont conçues à l’imitation de la statuaire africaine. Mais, pour ces inventeurs bâtisseurs, la Terre fait déjà trop XXe siècle ! Ils préfèrent regarder vers le ciel et l’immensité de l’espace galactique. À l’instar de leurs fortunes amassées, le ciel n’a pas de limites. Il offre aussi un script intégralement nouveau à inventer et écrire. 

« Avant d’être flottante, c’est peut-être sur une île au large du honduras, en amérique centrale, que la première ville privée sera construite » 

C’est pourquoi, les hommes les plus riches de la planète, tel Jeff Bezos qui a fait sa fortune avec Amazon, posent les jalons de cette nouvelle terra nullius. Dans le cadre du projet Blue Origin, Bezos projette de créer des colonies spatiales, entre Terre et Lune, qui seraient hébergées dans des vaisseaux-villes. À proximité de la Terre, elles ne nécessiteraient pas les énormes quantités d’énergie requises pour rejoindre d’autres planètes du système solaire. Mais les vieux rêves de colonisation spatiale tiennent toujours, et c’est à l’homme le plus riche de la planète, Elon Musk, que revient le défi de conquérir Mars. Il projette de développer des colonies sur la planète rouge. Renouant avec l’esprit pionnier des défricheurs de nouveaux mondes, Mars, située à six mois de voyage de la Terre, nécessite de parcourir les quelque 78 millions de kilomètres qui nous en séparent. Mais Musk possède déjà la technologie, et les navettes spatiales seraient développées par SpaceX. Une fois parvenus sur Mars, les colons séjourneraient loin des vicissitudes terrestres. Sur le site de SpaceX, le projet Mars & Beyond se lit comme une brochure d’agence de voyage.