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Le dôme monobloc, abritant l’un des 4 réacteurs de 1 300 mégawatts, pourrait contenir l’Arc de triomphe. La tranche numéro 4 était autrefois surnommée la « Rue sans joie » par les employés du fait de son éloignement et sa faible fréquentation.

MAISON DE L’ATOME

Par RICHARD ROSE Photos, ALEXANDRE TABASTE

Fleuron de l’architecture nucléaire, la centrale de Paluel fut le plus grand chantier de l’histoire des grands travaux en Europe.

La nouvelle édition du Guide du Routard de la visite d’entreprise, entre une biscuiterie et un producteur de fromages de chèvre, recommande vivement la visite agréable et ludique, voire bucolique, de la centrale nucléaire de Paluel “située au pied d’une falaise de craie sur la côte de la Manche”. Défiant le bleu laiteux de la mer, les quatre réacteurs titanesques ont un air lointain du mausolée de Samarcande. Comme un air d’Orient au pays de Caux. 1500 employés et bientôt trois générations de Cauchois travaillent sur ce site pharaonique produisant 7 % de la production nucléaire française. Premier entrepreneur local, il est ancré dans le paysage au point que le symbole du noyau nucléaire à trois électrons orné d’un éclair figure sur le blason de la ville de Paluel. Et dans la commune voisine de Vittefleur, dont les habitants bénéficient de la distribution préventive de comprimés d’iode, existait il y a peu un restaurant nommé Le Nucléaire. Au sujet de ce monstre de sable et de ciment édifié entre 1976 et 1986, premier site à mettre en service des réacteurs de 1300 mégawatts, l’architecte Claude Parent était formel : “C’est la plus belle centrale que le Collège des architectes du nucléaire ait faite.”

UN DÉCOR DE PIQUE-NIQUE

Au milieu des années 70, lors de la mise en œuvre du programme nucléaire français, quelques hauts dirigeants d’EDF firent justement appel à Claude Parent. On ne souhaitait plus reproduire l’abomination esthétique de Fessenheim, première centrale construite en France. L’architecte français à la tête d’une petite agence qui ne croulait pas sous les projets s’enflamme alors pour cette cause. Ainsi va naître le Collège des architectes du nucléaire chaperonné par Claude Parent afin d’épurer les formes, dessiner des silhouettes gracieuses et créer de nouveaux paysages architecturaux. Il sera composé de neuf membres, dont Paul Andreu qui venait d’achever l’aéroport de Roissy. Face à leurs responsabilités démesurées, avec ces grands travaux dignes du barrage d’Assouan ou du canal de Suez, règnent alors la joie et l’illusion de faire “un nouveau monde”. Coloristes et paysagistes sont à la manœuvre. “Je voulais pour ma part, se souvint Parent, paysager les centrales, en faire des dessins comme si on pique-nique non loin.” Il projette même d’installer des bases nautiques pour utiliser l’eau chaude des centrales. Afin d’impressionner ses interlocuteurs un peu rigides d’Électricité de France, il leur présente un bel album entoilé et donne à ses croquis au crayon gras des noms dignes des premiers futuristes italiens : “Les Pattes du tigre”, “Les Amphores”, “Les Orgues” ou encore “Les Pieds de Toutânkhamon”. Et ça prend. Les ingénieurs s’extasient sur la délicatesse avec laquelle il dessine les énormes panaches de vapeur d’eau au sortir des cheminées. Il se fait directeur artistique de ces “maisons de l’atome”, comme il les surnomme, allant même jusqu’à s’inspirer des pots d’échappement de sa Maserati Ghibli pour la conception des réacteurs couplés à deux tours de refroidissement. 

Claude Parent organisera aussi un improbable rendez-vous avec Oscar Niemeyer et les ingénieurs en électricité. “Pendant une heure, il a déroulé un rouleau de calque et fait des croquis avec ses feutres comme il aimait tant. Mais il plaçait les réacteurs beaucoup trop loin de ce qu’il fallait. En tout cas EDF semble avoir pris peur.” En revanche, la centrale dessinée par Pierre Dufau verra le jour à Paluel. Située dans une valleuse,  ancien hameau de pêcheurs, EDF avait d’abord songé à la faire disparaître derrière un grand talus végétalisé. Mais la grande idée de Parent était de faire jouer les centrales avec le paysage pour offrir un nouvel horizon. Ainsi Paluel arbore de superbes dômes monoblocs d’une grande pureté avant que les autres projets nucléaires n’optent pour des tronçons cylindriques beaucoup moins couteux en construction. Sur 160 hectares, les falaises et les collines ont été redessinées pour inscrire ces géants de béton. Le jardin botanique est toujours entretenu. Dans ce gigantesque site paysagé, des employés ont même créé un parcours de trail aux splendides dénivelés pour les joggeurs de la pause déjeuner. D’autres, aussi aventureux, s’adonnent à la cueillette des mûres qui poussent en abondance. Quant aux champignons, personne ne semble s’y risquer. Sur les hauteurs des collines, un employé à la retraite entretient quelques ruches. “Mais, comme nous confie notre guide, le miel est soumis à des tests.”

Claude Parent, qui fut surnommé “l’architecte du nucléaire” et même accusé de s’être enrichi avec les centrales (car il possédait une Rolls !), a surtout évité un carnage architectural à grande échelle sur le territoire français. Il s’est éteint le 27 février 2016 et juste un mois après son décès, un incident survenu dans la centrale de Paluel a fait chuter un générateur de vapeur haut de vingt-sept mètres dans le deuxième réacteur. Avant de disparaître, Claude Parent s’est confié à l’éditeur Nikola Jankovic sur l’avenir incertain des centrales nucléaires. L’architecte visionnaire imaginait les futures centrales liées à nos futures maisons bien orientées et pourvues de murs moins idiots capables d’accumuler lumière et chaleur. Sur le modèle des cadrans solaires indiens et des temples égyptiens. Encore l’Égypte.

À LIRE

LES TOTEMS DE L’ATOME, ENTRETIENS EN FUSION de Claude Parent par Nikola Jankovic, éditions B2