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Sophie Dherbecourt dans son atelier

Les métamorphoses de Sophie Dherbecourt

Par Justine Sebbag

Formée en autodidacte grâce à un coup de crayon aussi précis qu’efficace, la peintre Sophie Dherbecourt présentait en mars dernier une collection de toiles lors de Pathos of things, sa première exposition solo à la Galerie au Roi, dans le 11e arrondissement de Paris. Dans son univers, où créativité rime avec liberté, les formes et les couleurs s’unissent dans des compositions qui résonnent telles des hymnes célébrant les émotions, qu’elles soient positives ou négatives. Dans le cadre de notre rubrique Karte Blanche, Sophie Dherbecourt nous dévoile son processus créatif, ses inspirations, des mythologies à la mode avant-gardiste ainsi que sa vision très personnelle de la peinture. Entrez dans un monde où le symbolisme subtil et l’exploration cathartique de la couleur vous invitent à transcender vos limites et appellent à une exploration visuelle des métamorphoses possibles. 

Citizen K : Raconte-nous ton parcours en quelques mots

Sophie Dherbecourt : J’ai étudié le graphisme et j’ai décroché un poste de directrice artistique dans la publicité en 2016. J’ai travaillé dans ce domaine pendant deux ans, puis j’ai décidé de faire une pause et de me consacrer à la peinture de manière autodidacte. 

Citizen K : On a du mal à imaginer que tu te sois formée en autodidacte ! Comment as-tu fait ? 

Sophie Dherbecourt : J’ai toujours eu une passion pour le dessin depuis mon enfance. C’est une activité qui m’a toujours accompagnée et qui me permet de m’exprimer pleinement. Cependant, j’ai ressenti le besoin d’explorer davantage la dimension de la couleur et de l’intégrer à mes dessins. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler avec différents médiums artistiques. J’ai commencé par l’aquarelle, puis j’ai expérimenté l’acrylique, et c’est finalement avec la peinture à l’huile que j’ai trouvé ma véritable affinité. Ce médium me correspond parfaitement, car il permet une approche plus lente et réfléchie. J’ai le temps de façonner et d’embellir mes œuvres, et c’est réellement ce que je désirais : prendre le temps de découvrir les subtilités et les limites de ma pratique artistique.  

Citizen K : Les lignes des corps sont très architecturales, ce qui évoque l’art déco ou le cubisme. Qu’est-ce qui t’inspire ? 

Sophie Dherbecourt : Tout d’abord, et je pense que c’est assez évident, l’artiste qui m’a le plus marqué est Tamara de Lempicka, avec son travail des années 1920-1930 qui est étroitement lié au mouvement art déco. Je trouve son travail incroyablement beau, notamment au niveau de l’utilisation de la lumière. Ce qui m’a particulièrement marqué chez elle, c’est cet équilibre entre des lumières non conventionnelles et le début de la déconstruction cubiste, que j’adore. Son travail a toujours été comme un phare pour moi, une source d’inspiration constante.

Citizen K : Il y a quelque chose de méditatif dans ton travail, as-tu des rituels particuliers ? 

Sophie Dherbecourt : Je ne suis pas certaine d’avoir des rituels vraiment conscients, mais ce que je sais, c’est que j’aime me plonger dans une sorte de bulle lorsque je travaille. J’ai tendance à travailler en écoutant de la musique.

Citizen K : Dans ta première exposition solo « Pathos of things » tu as créé tout un parcours de peintures à travers lesquelles tu vis et te remets d’une dépression. En quoi le processus créatif a-t-il participé à ta guérison ? 

Sophie Dherbecourt : Je pense que c’était une exploration émotionnelle à travers la peinture et le dessin, une façon d’exprimer ce qui se trouvait à l’intérieur de moi. En créant, je faisais le tour de mes émotions, les analysant et cherchant à les comprendre. Progressivement, ma palette de couleurs s’est transformée au fil de mes toiles, me permettant de découvrir mon état émotionnel à travers elle. La peinture est devenue un médium libérateur de mes propres émotions, une manière de les exprimer lorsque j’étais confrontée à des sentiments intenses dont je ne savais pas quoi faire. 

Citizen K : Tu as une approche cathartique de la couleur, peux-tu nous expliquer ce que ça signifie ? 

Sophie Dherbecourt : En tout cas, dans le corpus d’œuvres de « Pathos of Things », il y avait une réelle progression au niveau des couleurs. La collection se composait de 11 toiles et j’ai commencé par le bleu, symbolisant pour moi la tristesse et la mélancolie. C’était l’état émotionnel avec lequel j’ai entamé cette série. Ensuite, il y a eu un virage vers des couleurs plus vibrantes et intenses. J’ai osé explorer des couleurs auxquelles j’étais très réticente auparavant, comme le rouge, le rose ou l’orange. Je n’avais jamais exploré ces couleurs auparavant et j’étais assez timide à leur égard. 

Citizen K : Sur certaines toiles, on peut apercevoir des symboles tels que des fruits et des voiles qui cachent des visages. Quelle est leur signification ? 

Sophie Dherbecourt : Pour moi, il y a toujours un symbolisme présent dans mes toiles, quasiment tout le temps. Au début, cette idée trouve principalement son origine dans mes inspirations, notamment la mythologie grecque. Les fruits, tels que la grenade et l’orange, étaient souvent associés à la notion d’abondance. Je souhaitais ainsi représenter cette idée d’abondance dans mes œuvres, symbolisant l’été et quelque chose de… de présent qui nous attire. Le voile revêt une symbolique très forte pour moi, car au début il incarnait l’allégorie de la dépression. La toile welcome to heartbreak était l’une des premières de la collection, avec une figure solitaire presque étouffée par ce voile. Par la suite, ce voile est devenu un fil conducteur tout au long de la collection, évoluant dans chaque pièce. Par moments, il peut être étouffant, parfois il aide à la reconstruction, et parfois il protège.

Citizen K : Quel est ton rapport à la mode ? 

Sophie Dherbecourt : Je pense que j’ai toujours été extrêmement intriguée et intéressée par la mode et le design vestimentaire. Je trouve cela fascinant de voir comment une silhouette peut être construite à travers le volume d’un vêtement. J’avais également cette idée de l’inscription dans le temps, tout comme les mythologies, de raconter des générations et des époques. Pour moi, des créateurs tels que Gaultier, Mugler et Westwood incarnent véritablement cette idée. Ils utilisent notamment le corset, que j’emploie également abondamment, pour évoquer cette notion d’armure.

Citizen K : Tu peins aussi des natures mortes. Qu’est-ce qui t’a attirée vers ce genre ? 

Sophie Dherbecourt :  Je pense que c’est pendant ma période de dépression, où j’ai traversé une phase de solitude et d’isolement, que mon rapport aux objets a changé. J’ai découvert une certaine libération dans la beauté d’un objet. J’ai souhaité cristalliser cette expérience, tout comme je voulais cristalliser des rencontres et des histoires. Ce sont surtout les fleurs qui m’ont intéressée, en m’inspirant notamment du travail de Georgia O’Keeffe. J’ai trouvé son travail si riche, intéressant, sensible et pur, que j’ai également voulu offrir ma propre interprétation des fleurs, en les rendant presque vivantes et figuratives.

Citizen K : Peux-tu nous parler de Sorority, l’œuvre mise en avant ? 

Sophie Dherbecourt : Sorority explore la notion de métamorphose à travers le groupe, de comment on se construit et change au contact des autres. C’est un hommage à l’amitié féminine et à la puissance du collectif. La communauté nous permet de surmonter nos plus grandes difficultés. L’idée principale est celle de la consolidation et de la reconstruction des fondations. De plus, cela renvoie aux notions d’architecture. Mon travail comporte souvent des éléments architecturaux, avec des lignes et des courbes très structurées. La composition de Sorority est ainsi construite de manière presque pyramidale, où chaque élément contribue à la construction de l’ensemble.