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LE SENS DU DRAME

Par LAURENT DOMBROWICZ

À l’instar des créateurs de prêt-à-porter masculin la semaine précédente, mais moins contraints au fameux réalisme du marché, les maisons de couture s’en sont donné à cœur joie dans leur fabrique à rêve. Nulle trace ici du chic discret de la Parisienne (qui n’est avant tout qu’une construction fictive) ni même d’une opulence sotto voce. Cette saison, les contes de fées et autres extravagances sont de retour sur les podiums et nous ne nous en plaindrons pas.

Pour Dior, Maria Grazia Chiuri donne le meilleur d’elle-même en mélangeant les époques et les références, de la ligne H proposée par Yves Saint Laurent aux crinolines de l’Ancien Régime. Cette poésie tonique est magnifiée par un travail de broderie florale sidérant et une installation de l’artiste indienne Rithika Merchant. Chez Chanel, où on assiste au dernier défilé studio avant l’intronisation de Matthieu Blazy, la partition est logiquement plus calme. On retiendra la très belle palette de couleurs avec l’irruption d’un violet profond contrastant avec les pastels et le tweed superstar -ce n’est pas vraiment une surprise- pour des tailleurs rajeunis par une carrure XXL arrondie et une jupe courte. Chez Schiaparelli, Daniel Roseberry poursuit une œuvre maximaliste qu’il tient à lier au concept de modernité. On retrouve cependant de nombreuses variations du corset cher à Elsa et une utilisation extensive des couleurs chair et beurre frais, ce qui questionne forcément le goût. L’exécution des robes par l’atelier reste bien entendu exceptionnelle. Les deux couturiers indiens, qui font vraiment le show depuis plusieurs saisons, sont très en forme et travaillent tous les deux sur un thème cosmique. En noir et or pour Rahul Mishra dont la collection reprend les « sculptures à porter » de l’hiver dernier dans une revisite plus précise, upgradée par la direction artistique de Michael Philouze. Gaurav Gupta puise dans le traumatisme et l’accident qui l’a récemment touché ainsi que sa muse Navkirat Sodhi. Across The Flame, puisque tel est le titre de la collection, est donc une création cathartique reprenant le langage formel et spirituel que l’on connaît chez le couturier, augmentée d’effets métal en fusion. Stéphane Rolland est sans doute un des talents les plus sous-estimés de cette semaine de l’excellence. Avec sa collection inspirée par Constantin Brancusi et Joséphine Baker, il prouve cependant qu’il maîtrise la discipline comme personne. Si on peut éventuellement lui reprocher un mode d’expression scénique qui rappelle les années Claude Montana (la référence n’étant pas si honteuse que cela), ses robes sont au contraire d’une exquise modernité, sans sacrifier pour autant à la tendance de l’instagramable.  Autre sculpteur de robes, le Saoudien Ashi désormais Parisien à plein temps. Pour l’été il imagine une socialite rétrofuturiste et ses atours de séduction, du manteau brodé or à la guêpière de dentelle en passant par le tailleur à la taille étranglée. Le tout est archi-maîtrisé (jusqu’au teckel assorti) mais rappelle assez souvent certaines créations d’Alexander McQueen et cite même les paravents en Coromandel de Coco Chanel. Viktor & Rolf, en mathématiciens conceptuels, travaillent à nouveau cette saison sur la répétition et les multiples. Tous les looks de la collection se composent donc d’un trench beige, d’un chemisier blanc et d’un jean, travaillés dans des proportions parfois extrêmes et uniquement réalisés en gazar de soie. Le défilé du Suisse Kevin Germanier dont c’était le baptème du feu en haute couture clôturait les festivités. Fidèle à son upcycling aux couleurs explosives, il imagine une parade au carnaval de Rio qui aurait pris une leçon de goût et d’éco-responsabilité. Tudo bem ! Le climax de la saison c’est chez Valentino qu’on le retrouve avec la première prise de parole haute couture d’Alessandro Michele. Le directeur artistique romain fait souffler une bourrasque (au sens propre comme au figuré) dans la version numérique d’une arène à l’antique. Avec une théâtralisation puissante, il met en scène une mode faite de mille références, énumérées visuellement à chaque passage. Son goût pour l’histoire et la littérature se lit à renfort de silhouettes XL réunissant Louis XIV et la lucha libre, la Renaissance et les hippies. Pour ceux qui n’ont pas la mémoire (trop) courte, la collection propose également une relecture de certaines créations de Valentino Garavani comme la robe Arlequin qui foule en premier la scène du Palais Brongniart.