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Crédit : GHOSTBOX

Le label Ghostbox ou la pop hantée

Par JEAN-EMMANUEL DELUXE

Le fantomatique label de musique pop Ghostbox puise à la source trouble de la French Theory avec son maître d’oeuvre Jim Jupp.

Jacques Derrida (1930-2004) est une icône de la pop britannique, comme le prouve le groupe Scritti Politti qui lui a dédié en 1982 une chanson où il est proclamé, “I’m in Love with a Jacques Derrida”. Ce pillier de la théorie de la déconstruction est également l’inventeur de l’hantologie, un néologisme qui recouvre toutes les oeuvres qui se construisent en invoquant pour les recycler les spectres du passé. Fondé l’année de la mort de Derrida par le graphiste Julian House et le producteur Jim Jupp du groupe Belbury Poly, le label Ghostbox est devenu sans le vouloir la figure de proue du mouvement de l’hantologie dans la pop.

LE MONDE D’AVANT INTERNET

Jim Jupp, le maître d’oeuvre de Ghostbox, a fondé les bases de son label de manière empirique. Pas de grands concepts mais plutôt l’envie d’évoquer des mondes mystérieux et de faire marcher notre imagination. À l’instar de la période d’avant internet quand, pour se remémorer un film ou une chanson obscure, nous ne pouvions faire appel qu’à notre mémoire. Ce n’était pas obligatoirement une chose négative : parfois le souvenir fantasmé d’une oeuvre est plus fort que sa réalité. Sir Jupp nous confie : “Avec Ghostbox, nous ne cherchons pas à reproduire une période précise de l’histoire mais nous tentons de recréer des souvenirs à moitié effacés pour des choses qui n’ont existé que dans un monde parallèle.” Tel Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, Jim Jupp et son comparse Julian House découvrirent sur le tard qu’ils produisaient de l’hantologie à la Derrida.

Les visuels de Ghostbox puisent aussi bien dans d’anciens reportages de télévision, des vieilles couvertures de manuels de mathématiques que des films fantastiques oubliés. Musicalement, Ghostbox a toujours évité les chapelles. Jupp l’avoue, “pas facile de définir exactement en quoi, le rock psychédélique, l’électro, les débuts de la dance music, la musique concrète et la folk nous paraissent tous s’imbriquer avec logique dans notre imaginaire”. Pye Corner, qui vient de sortir un nouvel opus, fait partie de la maison depuis 2012. Tout le génie de son créateur, Martin Jenkins, est de mélanger de la dance music avec des musiques de films. Un cocktail où l’on peut goûter des réminiscences des B.O. de John Carpenter, de techno des 90s, de films d’horreurs transalpins et de science-fiction britanniques.

BELLE-ÎLE EN TERRE

Si Ghostbox peut compter sur des compagnons de route de longue date, il continue à chercher les moutons noirs à cinq pattes. “On est fiers de Large Plants (alias Jack Sharp), notre dernière signature dans un genre psyché sauce heavy rock qui manquait au label. Un 1er avril, j’avais découvert sa reprise de La Isla Bonita de Madonna.

Je l’ai supplié de nous laisser le sortir chez nous. On classe sa musique dans le bac psyché mais Jack donne l’impression d’être Bert Jansch (un folkeux mythique, ndlr) qui chanterait avec Black Sabbath.” Ghostbox s’amuse à brouiller les pistes et les genres. L’important étant de produire une musique irréelle où les références autant visuelles que sonores sortiraient d’un songe dadaïste. Comme le prouve la sortie récente de A Letter from TreeTops par Pneumatic Tubes – alias Jesse Chandler, le clavier et de Midlake et de Mercury Rev. Un projet lui aussi indéfinissable que l’on tentera de présenter comme de la musique pastorale rêvée par Carl Jung en voyage dans les Alpes.

PYE CORNER AUDIO, “Entangled Routes”

LARGE PLANTS, “La Isla Bonita”

PNEUMATIC TUBES, “A Letter from TreeTops”