Le 80e anniversaire des drames atomiques de Hiroshima et Nagasaki nous rappelle la trouble fascination du père de la bombe A pour le plus long poème du monde.
Juillet 2023, le nouveau block buster de Christopher Nolan, Oppenheimer, est sur tous les écrans de la planète. Un biopic métaphysique qui nous présente à la 23e minute l’inventeur de la bombe atomique (Cillian Murphy) en pleine action, chevauché par sa maîtresse Jean Tatlock (Florence Pugh) qui interrompt tout à coup leur étreinte pour aller fouiner dans la bibliothèque du chercheur. La psychiatre topless déniche alors un livre dont la langue lui est inconnue.
– Qu’est-ce que c’est que ça ? demande-telle à son amant en lui tendant l’ouvrage.
– Du sanskrit.
– Tu peux lire ça ?
– J’apprends.
– Lis ça, lui intime-t-elle en désignant un passage marqué.
– Eh bien, dans cette partie, Vishnu révèle son moi à plusieurs Brah…
– Non, lis les mots !, l’interrompt-elle.
Oppenheimer s’exécute : “Et maintenant je suis devenu la mort, le destructeur des mondes”, prononce-il pris de vertige tandis que sa partenaire remonte en selle.
Le plus vaste poème jamais composé par l’homme
Dès sa sortie, Oppenheimer fait scandale en Inde. En émoi, la droite traditionaliste dénonce “une attaque inquiétante contre l’hindouisme” et appelle à la censure de la sulfureuse séquence, voire au boycott du film. La raison de l’anathème ? La citation est tirée de la Bhagavad-Gîtâ (le “chant du bienheureux”), l’un des textes les plus sacrés de l’hindouisme, soit la partie centrale d’une épopée versifiée d’une ampleur inégalée : l’impressionnant Mahâbhârata qui, avec quelque 250 000 vers, constitue le plus vaste poème jamais composé par la main de l’homme. Un texte monumental (quinze fois la Bible) qui fascina effectivement le scientifique américain qui prononça la fameuse phrase non durant un coït fiévreux, mais bien face au premier essai de la bombe atomique (nom de code Trinity) à l’aube du 16 juillet 1945 au Nouveau-Mexique, avant de la réitérer, tel un mantra, face aux caméras de télévision dès qu’un journaliste l’interrogeait sur sa mortelle invention.
*Cet article est issu de notre numéro d’été 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*