Sur les collines du Monferrat au nord de l’Italie, le centre de danse Orsolina28 accueille les grandes stars de la scènecontemporaine.
Ce n’est pas de la Grande Ourse qui y brille chaque nuit qu’Orsolina tient son nom, mais des nonnes du couvent des Ursulines, qui en fou- lèrent les premières la terre. Il faut croire que leurs prières furent entendues tant le lieu semble béni d’une destinée céleste. Après des siècles de vie en ordres, il vit aujourd’hui au rythme du désordre ordonné que commande toute création artistique, et en particulier en danse. Car lorsque le corps est la matière première, il n’est pas question de se lais- ser aller à la fièvre de l’ébriété ou de l’ins- piration nocturne bien connues d’autres champs artistiques. La fondatrice d’Orsolina28, Simony Monteiro, New- Yorkaise d’origine brésilienne, le sait bien : ancienne danseuse passée par les School of American Ballet et Alvin Ailey Dance Theater, elle connaît les réalités du milieu et du métier, qui ne font pas toujours rêver. Compétition acharnée pour atteindre le firmament, répéti- tions jusqu’à l’épuisement, incertitude sans relâche d’un succès ou d’un échec à venir. Ces réalités ne disparaissent pas magiquement à Orsolina, mais elles trouvent ici leurs antonymes : communauté, partage et soutien collectif, repos de l’esprit et du corps face à une nature qui englobe et apaise, espace-temps li- béré pour de nouvelles idées. De ce jeu de forces contraires entre un quotidien complexe à naviguer et un cadre anti- nomique, naît un équilibre propice à la création. “Je n’ai jamais été aussi épui- sée et reposée à la fois”, confie une dan- seuse venue pour le Summer Intensive de Jacob Jonas fin juin.
Ces semaines de cours dispensés par des chorégraphes de renom, à l’instar d’Akram Khan, Ohad Naharin, Juliano Nunes ou encore Marie-Agnès Gillot, offrent une expérience bien différente des habituels stages d’été dans des gymnases de lycée reconvertis. À Orsolina28, les rêves se font à la belle étoile dans les tentes de glamping, et prennent corps le jour sous l’œil d’un studio unique en son genre. Pensé par Ohad Naharin, fonda- teur de la Batsheva Dance Company et de la technique Gaga, The Eye est un studio ovale de 435 mètres carrés ouvrant sur le paysage grâce à des murs rétractables et délibérément dénués de miroirs. Lorsque les journées de cours y prennent fin, libre aux étudiants de se détendre dans les piscines naturelles bordées de nénuphars, de participer à un cours de yoga dans la serre tropicale, ou de suivre un cours d’horticulture. Le soir, les danseurs se retrouvent au- tour de plats préparés avec les fruits et légumes cultivés en biodynamie dans le potager adjacent, irrigué par un sys- tème de goutte-à-goutte permettant une économie maximale de l’eau de pluie filtrée et distribuée en circulaire des douches aux jardins. Le centre de danse est à 100 % autonome en apport d’eau, et à 70 % en électricité par le biais de panneaux photovoltaïques capturant l’irradiant soleil de ce coin d’Italie classé à l’Unesco. Une électricité, elle aussi, utilisée au compte-goutte : les spectacles gratuits et ouverts à tous programmés pendant l’été se tiennent sur l’open air stage au coucher du soleil, sans aucune lumière artificielle. C’est qu’à Orsolina, où humain et non-humain s’entraident à créer, tout ne tombe pas du ciel, mais presque.