Par leur audace architecturale, les crématoriums se confondent désormais avec des fondations d’art contemporain. Tour d’Europe des condoléances de style.
Honnie au Moyen-Âge et considérée comme païenne, la crémation était volontiers utilisée au titre de punition chez les hérétiques et les sorcières, mais jamais comme un rite funéraire.
Avec les Lumières, la révolution industrielle, la saturation des cimetières et les problèmes d’hygiène publique, la perception va changer. Le premier crématorium moderne en Europe est construit à Milan en 1876. Au départ, les bâtiments de ce type restaient dans la tradition néoclassique, se référant principalement aux styles des temples et des églises. À partir des années 1950, une nouvelle vague de crématoriums déferle, en tant qu’oeuvre de conception unique et autonome. C’est seulement en 1963 que le Vatican autorise la crémation. Côté technique, les fours deviennent plus rapides, avec des systèmes qui s’automatisent.
Depuis les années 2000, les normes environnementales en Europe imposent une crémation écoresponsable et des filtres à particules, comme ceux qui empêchent la pernicieuse pollution au mercure provenant de la combustion des amalgames dentaires des défunts. L’ouvrage Goodbye Architecture, écrit par Vincent Valentijn et Kim Verhoeven, expose cette nouvelle tendance du crématorium. Voilà un livre cadeau idéal, sachant qu’en Scandinavie ou au Royaume-Uni, plus de 70 % des décès sont suivis d’une crémation. En France, ce sera plus de la moitié à l’horizon 2030. Et pourtant, ce bâtiment complexe qui mêle à la fois rituel et logistique technique, où les émotions affluent de toutes parts, peut rester ambigu par son caractère industriel. Ces nouveaux théâtres des adieux, pensés comme des espaces ouverts, lumineux et apaisants, sont enfin perçus comme un patrimoine culturel en devenir.
UNE AMBIANCE DOUCE ET MÉDITATIVE
En activité depuis les années 1960, le crématorium de Gävle, en Suède, illustre à merveille le renouveau architectural du retour en cendres. Cette création du jeune collectif ELLT sera même récompensée par le prix Kasper Salin, décerné par l’Association suédoise des architectes. Caché au milieu d’une forêt de pins, ce trésor brutaliste, situé juste à côté d’un cimetière, est également connu sous le nom de crématorium de la chapelle Skogsljus (signifiant “lumière de la forêt”). Les espaces sont reliés par des murs en béton banché. Les planchers sont en ardoise tandis que les cloisons et les plafonds sont en bois de pin. La lumière naturelle de la forêt pénètre dans la chapelle par une bande de verre horizontale continue qui offre un tableau poétique sur le ciel et la cime des arbres de la forêt environnante. Ce climat de refuge naturel crée une sensation d’immobilité et de calme autour de la structure. Depuis 1999, une insoupçonnable extension en béton, verre et bois a vu le jour. Le système de filtration, en grande partie souterrain afin de remplacer les cheminées, se conforme désormais aux nouvelles normes en vigueur.
*Cet article est issu de notre numéro d’automne 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*