Diplômé de l’université d’art Musashino, cet artiste spécialisé dans la sculpture vante plusieurs expositions personnelles à Tokyo et ses œuvres font partie aujourd’hui de la collection permanente du Japan Art Center. Un parcours récemment enrichi par la victoire au Loewe Foundation Craft Prize 2025, où sa dernière pièce, Realm of Living Things 19, a été récompensée par le jury pour sa nonchalance technique et sa beauté à la fois poétique et organique. Rencontre.
La philosophie héraclitéenne d’une réalité en perpétuelle transformation doit être chère à Kunimasa Aoki, artiste japonais qui, par l’emploi de techniques innovantes mais ancrées dans la tradition sculpturale orientale — empilement, moulage et compression de fins colombins d’argile — donne vie à des œuvres dotées d’une proximité à la nature et capturant l’énergie et le sens du mouvement et du temps qui passe dans le moment présent.
L’œuvre qui vous a permis de décrocher le Loewe Foundation Craft Prize 2025 est baptisée ‘Realm of Living Things’. Pourquoi ce nom ?
« Realm of Living Things » fait référence à un espace habité par le vivant. À travers cette série, j’explore l’idée qu’une œuvre peut posséder une forme de vie propre et continuer à se transformer d’elle-même. Cette dix-neuvième pièce de la série est une sculpture en terre cuite, façonnée selon la technique du colombin. Elle renferme une énergie intérieure et une tension invisibles de l’extérieur — à l’image d’un être vivant. Comme le suggère son titre, l’œuvre incarne un état de « vie en cours ». Elle reflète les processus naturels de croissance et de transformation qui traversent le monde vivant.
Pourquoi l’argile est-elle aussi significative pour vous et votre processus créatif ?
Parce qu’elle possède une plasticité unique qui permet d’inscrire la trace de la main directement dans la forme. Cette caractéristique est essentielle pour moi.
Autrefois, j’utilisais l’argile comme support. Aujourd’hui, je la considère plutôt comme une matière vivante à part entière, et je valorise les expressions et les formes qui émergent naturellement de cette collaboration.
Comment décrire votre processus créatif ?
Ma pratique commence avec un « dialogue avec le matériel ». Je laisse l’argile répondre à sa manière, en accueillant les hasards et en explorant les formes en collaboration avec la matière. J’utilise une technique ancienne où des cordes d’argile sont superposées une à une pour créer la forme. En travaillant lentement et soigneusement à la main, des fissures et des déformations apparaissent naturellement. Je les accepte comme faisant partie de la « respiration » de la pièce et je les intègre comme des éléments complémentaires. Il m’arrive parfois même d’écraser ou de déformer délibérément l’œuvre, afin de ne pas rester enfermé dans l’image que j’avais préconçue. Ainsi, je peux atteindre ce moment où le travail commence à se détacher de moi et à exister par lui-même.
Le jury du Loewe Foundation Craft Prize a choisi votre œuvre « pour sa dimension organique » et parce qu’« elle ne donne pas l’impression d’être trop technique ». Vous reconnaissez-vous dans cette appréciation ?
Oui ! Je suis davantage attiré par la puissance naturelle du matériau et par les formes nées de la spontanéité que par la décoration complexe ou la virtuosité technique. Les structures et les formes que l’on trouve dans la nature possèdent une beauté saisissante précisément parce qu’elles ne sont pas trop calculées. Dans ce cadre, la simplicité est pour moi une manière de revenir à l’essence même de l’expression. En éliminant le superflu, le charme propre du matériau et le sens plus profond de l’œuvre commencent à émerger.
Votre travail présente souvent des formes presque primitives, ancrées dans la nature. Quel rôle joue la nature dans votre pratique ?
Elle est une présence qui guide ma manière de penser et d’agir. Je suis particulièrement attiré par les transformations lentes et organiques du monde naturel : l’érosion des roches par le vent et l’eau au fil du temps, les torsions asymétriques des plantes en croissance, ou encore les fissures qui se forment lorsque la terre sèche. Ce sont des formes qui naissent du temps, de la pression et du hasard. J’essaie d’insuffler à mon travail ce même sentiment d’imprévisibilité. Plutôt que de reproduire la nature, je cherche donc à créer des œuvres qui résonnent avec ses rythmes.
Quelle place occupe la forme dans ce cadre ?
La forme est pour moi quelque chose à cultiver et à découvrir à travers le dialogue avec la matière. Les formes nées de ce processus portent souvent des émotions ou des souvenirs qu’il est impossible de mettre en mots, laissant au public la liberté d’une réponse personnelle.
Vous me donnez l’idée d’avoir une approche démocratique des arts. Pensez-vous qu’aujourd’hui l’art devrait parler à tout le monde ?
Dans le monde actuel, où les perspectives deviennent de plus en plus variées, l’art devrait pour moi rester ouvert et accessible. Elle n’a pas besoin de parler à tout le monde de la même manière, mais elle devrait laisser la possibilité à tout le monde de faire partie de la conversation. Dans ce sens, je vois ma pratique comme un espace où le sens n’est pas figé, mais se construit dans la rencontre entre l’œuvre et le regardeur.