Entre dessin, sculpture et peinture, Françoise Pétrovitch déploie un univers intime, libre et coloré : des figures enfantines, adolescentes ou animales offertes frontalement aux regardeurs tout en s’en défendant dans leurs postures. Sa première rétrospective au Fonds Hélène & Édouard Leclerc à Landerneau, une vraie réussite, révèle la puissance de son œuvre.
CitizenK International : À voir votre première rétrospective, un ensemble aussi cohérent sur presque trente ans, se dégage une tonalité affective de l’ordre du non-dit, de la souffrance. Nous sommes loin de la joliesse malgré des couleurs vives ou des figures de jeunesse. C’est quelque chose qui ne se vit pas forcément bien, ce n’est pas de la tarte au sucre.
Françoise Pétrovitch : Non, c’est de la tarte au citron. C’est vrai, non ? J’adore la tarte au citron, mais sans meringue dessus, c’est trop sucré. Effectivement, souvent je dis quelque chose et en même temps je montre autre chose. Je cherche des tensions, des choses qu’on ne comprend pas, peut-être moi non plus en les faisant. Il y a aussi des choses que j’ai perçues sans les vivre, comme une éponge. Je trouve que le monde est dur, qu’il est agressif, je trouve qu’il n’y a pas grand-chose de doux finalement. Il y a très peu de regards représentés dans ma peinture : les paupières sont closes, les regards sont baissés, il y a plutôt une intériorité. On regarde en soi. J’ai l’impression que de ne pas montrer le regard permet à celui qui regarde de regarder la peinture également. Tout cela peut paraître froid avec pourtant des figures affectives comme des câlins. C’est peut-être mon tempérament. Je suis de l’Est.
Votre bestiaire, quant à lui, a le droit au regard.
Je trouve que les animaux ont un regard semblable. Contrairement aux humains, c’est un regard qui est là, commun à tous. Dans mes figures animales, oui on voit les regards. J’ai toujours vécu avec des animaux, quand j’étais petite. C’était des animaux comme à la campagne, des “vrais” animaux qui vivent à coté de nous… L’animal est un formidable répertoire de formes. Le dessin, c’est aussi le plaisir de toutes les formes, de tous les possibles.
Votre matière picturale est très fine et propre. Vous travaillez alla prima, en dessinant à l’huile dans le frais des aplats, votre corps est médiatisé par le pinceau. Au contraire, dans vos sculptures, c’est beaucoup plus corporel, on retrouve notamment les traces de vos doigts. Comment l’expliquez-vous ?
J’ai toujours un peu du mal à préparer de gros pots de peinture, ça m’angoisse un peu. Mais je me soigne, j’essaye de presser sur les tubes ! C’est la matérialité qui me gêne probablement. J’aime être dans le plaisir de la matière sans être embourbée, être plus mentale. La sculpture, c’est hyper matériel, et c’est pour cela que je n’en fais pas tant que ça. Je n’ai pas encore assez d’aisance pour pouvoir ne plus penser à la technique. À voir l’exposition à Landerneau avec mes sculptures réunies aussi nombreuses pour la première fois, j’ai des choses à en faire.
Quelle est la temporalité de fabrication de vos peintures ?
Une grande aquarelle se fait en une ou deux journées avec de l’encre très humide, une peinture à l’huile également. Mais pour certaines peintures, je peux y revenir six mois après. Même si c’est un tout petit détail, je peux réfléchir plusieurs semaines sur un accord de couleurs qui ne me satisfait pas. Le bon moment, c’est souvent le matin. Il y a une clarté dans ma tête, une vision. Je peux travailler vite, mais je ne peux pas travailler en continu. Je dois vivre, marcher, faire du jardin, enseigner… Je travaille toujours un peu tous les jours. Même si c’est rapide, je dois mentalement préparer les choses, ça peut être très long.
Pourquoi avez-vous arrêté la peinture pendant dix ans ?
On n’était pas regardé dans les années 2000 quand on faisait de la peinture. Les peintres se retrouvaient en combat forcément, parce que c’était très difficile, avec un côté mâle autoritaire : “Le peintre”. Je ne m’y reconnaissais pas du tout. Je me suis concentrée sur le dessin à ce moment-là. Un dessin en couleurs sur papier, grand format, pas des esquisses pour des peintures. À l’occasion d’une exposition en 2011, au musée de la Chasse et de la Nature, j’ai remontré des peintures, face à d’autres, encadrées, vraiment XIXe. Il a fallu que je reconstruise la peinture en me disant : “Je ne vais pas faire mes dessins en peinture.” Je me suis souvent retrouvée devant des institutions qui dissociaient dans mon travail ce médium dit irregardable.
Vous touchez au sujet de l’enfance, sans en éluder sa part sombre, son inquiétude, ce qui peut tendre à une certaine perversité. Qu’en pensez-vous ?
Cela ne me revient pas frontalement, mais j’ai eu ce genre de retour. Dès qu’on représente la jeunesse, on est scruté. Je pense qu’on est tellement multiples de toute façon, et variables et touchés aussi par la beauté. Sur cette question, c’est un gros avantage d’être une femme, j’en suis bien consciente, évidemment. C’est vrai qu’on ne peut pas perdre à tous les coups !
FONDS HÉLÈNE & ÉDOUARD LECLERC
POUR LA CULTURE AUX CAPUCINS 29800 LANDERNEAU
Jusqu’au 3 avril 2022. 10h-18h, tous les jours.