Pour une fois, l’Éden nous permet d’explorer la question non plus des interdits alimentaires dans la religion mais des horizons rêvés.
“Bonne cuisine et bon vin, c’est le paradis sur Terre” : cette exclamation pourrait aisément surgir de la bouche d’un convive repus, avachi sur une chaise après un festin bien arrosé. Mais derrière ces mots se cache surtout une citation attribuée à Henri IV, roi de France. Le souverain n’était vraisemblablement pas sans ignorer que le nirvana, parfois, peut se trouver dans le creux d’une assiette. Car ce qui nous nourrit et ce qui nous emplit sont sans doute plus liés qu’on ne le croit. Idéal de plaisir, promesse de prospérité ou chemin vers l’extase spirituelle, manger est à la fois un geste ordinaire et un acte souvent fantasmé. Tout à fait puissantes, ces significations se retrouvent dans les cultures et religions du monde entier.
LE PLUS FÉCOND DE TOUS LES ARBRES
Dans l’islam, par exemple, Jannah, le Paradis, est décrit comme un lieu où les croyants se régalent de fruits éternellement f rais, symboles d ’une jouissance sans fin. Dans cette vision, la privation n’existe pas et le bien-être est absolu. Même aura du Paradis dans le christianisme : en plein coeur du jardin d’Éden, la nourriture foisonnante est gage d’une prospérité bienheureuse. Plus que simple matière à subsistance, la chose comestible est l’emblème d’une sérénité matérielle et spirituelle. “Le figuier est le plus fécond de tous les arbres car on dit qu’il porte des fruits sept fois l’an […] et que son fruit vient avant les feuilles”, rapporte, en citant le dominicain allemand Albert le Grand, Jean Delumeau, historien spécialiste des représentations de l’Enfer et du Paradis dans l’Occident chrétien. Mais il n’y a pas de nourriture sans appétit et pas d’appétit sans tentation. Et, dans les textes bibliques, c’est le fruit de l’arbre interdit, celui qu’Ève ne peut se retenir de croquer, qui déclenche la chute de l’humanité et la perte de l’innocence. Symboliquement, l’acte de manger devient aussi la fin de l’utopie et l’entrée dans la condition humaine, avec ses beautés comme ses affres.
*Cet article est issu de notre numéro de printemps 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*