L’une relève le défi des choses au langage. L’autre capte le muet, l’indicible, l’impalpable. Poète et parfumeur ont ceci en commun qu’ils distillent la complexité de leur propos en peu de lignes.
Je désire moins aboutir à un poème qu’à une formule, qu’à un éclaircissement d’impressions.” Si cette exigence pourrait être exprimée par un Jean-Claude Ellena ou un Francis Kurkdjian, c’est un autre Francis qui l’énonce, le dénommé Ponge, auteur rigoureux de La Rage de l’expression, du Parti pris des choses ou de Proêmes. Dans ses textes, au fil d’essais successifs, injections et retraits de mots, le poète frôle, serre, embrasse de ses phrases un objet dévoilant toujours de nouvelles façons d’être pénétré, pour figurer au plus juste ce qui peut être saisi d’une fleur, d’un lieu, d’un état de la lumière… Ce que font, tout aussi bien, les parfumeurs lorsqu’ils cadrent une portion de l’espace olfactif, un propos végétal, un état de la matière. D’où cette mise en regard d’extraits de l’oeuvre pongienne et de compositions contemporaines portant sur les mêmes objets.
O de rose
“Une chair mélangée à ses robes, comme toute pétrie de satin : voilà la substance des fleurs”, écrit Ponge dans La Parole étouffée par les roses. “Chacune à la fois robe et cuisse (sein et corsage aussi bien) qu’on peut tenir entre deux doigts – enfin ! et manier pour telle ; approcher, éloigner sa narine ; quitter, oublier et reprendre ; disposer, entrouvrir, regarder… – et flétrir au besoin d’une seule ecchymose terrible, dont elle ne se relèvera plus…” Cette antithèse de la fleur à l’eau de rose, la nouvelle marque londonienne Jouissance la plante, dixit son site, au coeur d’un “bouquet couleur d’ecchymose”. La Bague d’O composée par Julie Dunkley rend hommage, on l’aura deviné, au récit de Pauline Réage. Aussi écarlate qu’un postérieur fessé, cette rose impudique s’écartèle entre la froideur oxydée d’un accord métallique – pour la bague de fer portée par O en signe de soumission – et l’animalité cuirée d’une note castoréum. Un parfum paradoxalement serein malgré sa profondeur charnelle, comme O parvenue au terme de son ascension mystique.
*Cet article est issu de notre numéro d’été 2025. Pour ne manquer aucun numéro, vous pouvez également vous abonner.*