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FERRAGAMO SS 2025

ITALIE, ANNÉE 3.0

Par LAURENT DOMBROWICZ

Longtemps réfractaire à la nouveauté et aux jeunes talents, la mode italienne semble enfin avoir effectué sa mue.

Pour expliquer le relatif immobilisme de la mode transalpine, trois raisons sautent d’emblée aux yeux.
Contrairement à la France ou les créateurs et couturiers fondateurs ont vendu leur griffe de leur vivant, parfois faute d’héritier, l’Italie sacralise toujours la famille. Le prêt-à-porter ne fait pas exception à la règle. Fendi par les femmes sur quatre générations, Prada de grand-père en petite fille, Versace de frère en sœur, Etro et Missoni en filiation directe etc.  Ce qu’une génération a construit, il s’agit de le léguer à la suivante, même si la famille en question de possède plus tout à fait la marque et doit désormais composer avec des fonds d’investissements, des groupes ou des investisseurs externes. Il en va de même pour les ateliers et les savoir-faire sur lesquels bon nombre de ces noms ont prospéré, que ce soit pour le cuir, la maille ou les soies imprimées. S’il est en réelle souffrance, le made in Italy a globalement mieux résisté et mieux été protégé que le made in France en totale déliquescence depuis les années 90. La troisième raison est liée à la formation dans les écoles de mode italiennes qui orientent les jeunes diplômés vers les studios plutôt que d’en faire de véritables créateurs avec l’audace et l’originalité stylistique que cela requiert. Ce modèle a peu ou prou tenu ses promesses jusqu’à la fin des années 2010, tant le système était bien huilé (à l’huile d’olive bien entendu) des ateliers jusqu’au retail. La raréfaction des boutiques multi marques de qualité et l’effondrement des department stores américains a secoué ces certitudes, le commerce en ligne valorisant d’avantage l’immédiateté visuelle que le prix du savoir-faire. Dans bon nombre des familles de mode précitées auxquelles on pourrait ajouter les Ferragamo et autres Trussardi, les héritiers ne sont pas toujours montrés à la hauteur ou ont préféré abandonner un flambeau trop brûlant. Sans renoncer pour autant dividendes, rendant l’équation difficile pour les nouveaux venus. Le jeune Britannique Maximilian Davis, en charge des collections chez Ferragamo (qui a, comme par hasard, abandonné le Salvatore dans son nom officiel) a bouleversé l’image un peu ronronnante de la griffe florentine avec un succès médiatique impressionnant et justifié à défaut de ventes spectaculaires. Le Sicilien Marco de Vincenzo a opéré un salutaire dépoussiérage chez Etro tout comme Fausto Puglisi chez Roberto Cavalli. La mode italienne doit également son succès planétaire à des marques dont l’aura n’égale pas nécessairement les fleurons milanais ou les emblèmes du luxe français. Blumarine, fondée en 1977 par Anna Molinari est de celles-là. Remise en selle grâce à la fièvre Y2K et au talent de Nicola Brognano, elle vient de dévoiler sa première collection imaginée par le Géorgien David Koma dont le brio n’est plus à démontrer. Métamorphose en cours chez la très sage Tod’s, propriété de Diego della Valle, ou Matteo Tamburini vient de remplacer le quasi indéboulonnable Walter Chiapponi. Le quadragénaire, transfuge de Bottega Veneta, a pour mission non seulement de moderniser l’offre autour de la cèlèbre chaussure gomminorendue célèbre par Giovanni Agnelli mais aussi de solidifier un prêt-à-porter qui a du mal à exister. Au sein du groupe Aeffe, il y a aussi du mouvement. Alberta Ferretti vient de quitter la direction de sa marque éponyme fondée il y a quarante-trois ans, laissant la place à Lorenzo Serafini déjà en charge d’autres lignes. Moschino, la tête d’affiche de Aeffe, a choisi l’année dernière l’Argentin Adrian Appiolaza pour succéder à l’éphémère David Renne, lui-même en charge d’écrire les premières pages de l’ère post-Jeremy Scott. Les collections signées Appiolaza semblent très prometteuses, en droite ligne des détournements cyniques et surréalistes de Franco Moschino. Autre salle, autre ambiance avec Norbert Stumpfl, l’Autrichien qui dirige le style du tailleur Brioni et qui préfère l’évolution à la révolution. 
Sous sa houlette, la noble marque a quitté le très solitaire exercice du smoking façon James Bond et un sartorial parfois trop traditionnel pour une offre enfin plurielle. Du casual de grand luxe, des costumes aux broderies d’art et, enfin, une véritable offre au féminin. À la question de savoir si oui ou non Milan est un tremplin pour la jeune création, la réponse ne peut toutefois pas être globalement positive, tant le « comment » prime sur le « quoi », tant le « bien fait » supplante le « bien pensé ». Il est d’autant plus remarquable de voir des talents éclore sur ce terrain à demi hostile. Parmi eux, Setchu lauréat du prix LVMH cuvée 2023 et invité du dernier salon Pitti Uomo, la très fun AVAVAV, marque florentine emmenée par la Suédoise Beate Karlsson,  la couture moderniste de Francesco Murano et Institution, le label avant-gardiste du surdoué Géorgien Galib Gassanov. À suivre impérativement.