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© Arash Khaksari

Interview acrobatique avec Pierre Niney

Par Maroussia Dubreuil

Pierre Niney s’est plié de belle grâce à notre entretien excentrique pour nous conter les bien étranges péripéties du métier d’acteur.

Citizen K Homme : Avez-vous une petite habitude farfelue ?

Pierre Niney : Quand je fais des tours sur moi-même, je les refais en sens inverse. C’est une manière de remettre les compteurs à zéro. On ne s’en rend pas forcément compte, mais cela arrive plus souvent qu’on ne le croit. Il suffit d’aller déposer un truc sur une table, de revenir sur ses pas, et on a fait un demi-tour. Je suis connu pour tourner en rond. En répétition ou au téléphone, j’ai toujours besoin de mouvement.

On vous a récemment vu danser dans Mascarade de Nicolas Bedos. Pas trop difficile les sauts de biche sur la plage ?

Un challenge ! J’ai travaillé en amont avec Suzanne Meyer, une chorégraphe qui a collaboré avec Beyoncé entre autres. Comme j’habite à la campagne, on a trouvé du sable à côté de chez moi dans un manège équestre. Autant dire qu’on a passé des mois à répéter dans le crottin. Je voulais tenter des acrobaties parce que j’adore les vidéos de “parkour”, l’art du déplacement, démocratisé par Yamakasi, de Luc Besson, au début des années 2000. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération d’athlètes très impressionnants dans cette discipline, notamment Lilou Ruel, multichampionne du monde, 19 ans.

On ne compte plus les films qui vous ont demandé une préparation bien particulière.

Ce n’est pas faux. Ce fut le cas pour Yves Saint Laurent, puis auprès des pompiers pour Sauver ou périr ou, plus récemment, au BEA, le Bureau d’enquêtes et d’analyses pour la sécurité de l’aviation civile, pour Boîte noire. Le plus insolite remonte au début de ma carrière, lorsque j’ai fait un stage dans une chocolaterie à Montreuil où j’ai appris à mélanger le cacao avec différents arômes. J’ai tout oublié, comme d’habitude ! À croire que mon cerveau a besoin de faire le vide avant de se lancer dans autre chose. J’ai tout de même eu la chance de passer mon permis de conduire à l’occasion d’un film, qui ne s’est jamais fait, où je devais jouer le chauffeur d’Adrien Brody. C’était en 2013, je l’ai eu du premier coup contrairement au permis moto que j’ai passé deux fois. L’examen est vraiment plus difficile !

À quoi ressemble votre cylindrée ?

C’est une Triumph Thruxton 900cc au look minimaliste que j’ai acquise il y a huit ans. Son propriétaire l’avait repeinte en noir mat, je n’y ai pas touché. C’est mon côté petit garçon fan de Batman qui revient. Mon goût pour la moto est sans doute aussi inscrit dans l’ADN familial, mon père en faisait beaucoup. La première fois que j’en ai conduit une, c’était sur le tournage d’Yves Saint Laurent, dans le désert marocain. Je n’avais pas mon permis, Guillaume Gallienne était assis derrière moi et, au dernier moment, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de freins. Il fallait littéralement freiner avec les pieds. Ça reste un beau souvenir, même si on a frôlé la mort deux ou trois fois. Récemment, je suis retourné au Maroc pour tourner un clip à moto pour Dior, qui m’a donné carte blanche. Nous étions à Taghazout où je surfe souvent. J’ai une planche toute noire assortie à ma moto.

Et à vos costumes. Vous arrive-t-il de les troquer contre des vêtements plus extravagants ?

Pas tellement, non. Je crois bien que les tenues les plus originales que j’aurais portées sont celles du shooting qui accompagne cette interview. Cela me fait presque peur et, en même temps, je suis content d’oser des formes, des couleurs, des textures et des styles avec lesquels je ne suis pas familier. Un style androgyne avec dos nu, jupe, khôl, paillettes : ça me rappelle un des premiers courts métrages, dans lequel j’ai fait une apparition. J’avais 16 ans, c’était avec Léa Seydoux, et je portais une robe d’été bleue, sans explication particulière, c’était comme ça.

Quel réalisateur pourriez-vous qualifier d’imprévisible ?

Michel Gondry. Nous nous sommes rencontrés il y a dix ans. Je lui avais demandé d’être mon parrain lors d’une soirée pré-César sans même espérer qu’il me réponde. Mais il est finalement venu et a répondu présent ! Depuis, je l’appelle toujours “parrain ” et lui me dit “filleul”. Je viens de tourner dans son dernier film, Le Livre des solutions, dans lequel je joue une version de lui à un moment de sa vie où il n’allait pas très bien. Sur le tournage, il était tout le temps dans l’invention : il pouvait changer toutes les répliques du jour au lendemain, être obnubilé par une fourmi et vouloir absolument faire un plan dessus, me demander de penser à une chanson sans la fredonner, m’inviter à courir deux fois autour d’une maison avant de jouer alors qu’il n’y avait aucune raison pour que je sois essoufflé dans cette scène ou encore me faire chucho- ter puis crier en me disant : “On verra ce qu’on garde.” C’était très polymorphe.

Le principal, c’est d’y voir clair.

Je suis daltonien ! En réalité, ça n’a pas d’impact au quotidien, à part que tout le monde me demande de quelle couleur est son pull. On s’en est aperçu lorsque j’étais enfant parce que je dessinais les arbres avec des teintes qui ne correspondaient pas à ce qu’on pouvait trouver dans la nature. On m’a donc fait passer des tests. J’en refais de temps en temps sur Internet pour voir si ma vue a évolué. Il s’agit de distinguer des chiffres dans une nuée de couleurs : je ne les vois toujours pas. Ça touche essentiellement les garçons. Ça n’a jamais été handicapant, sauf si j’avais voulu être pilote de chasse.

Ou astronaute comme votre ami Thomas Pesquet ! Avez-vous d’autres proches qui exercent des professions qui n’ont pas grand-chose à voir avec le cinéma ?

J’ai un copain qui travaille à la P.J. C’est toujours étonnant pour moi de me dire qu’il porte un holster avec un flingue quand on mange une pizza. J’avoue que je n’ai pas encore bien assimilé que c’est mon pote d’enfance, avec lequel j’ai fait les quatre cents coups. On adorait faire la fête et grimper sur les toits de Paris. Il était fasciné par tout ce qui était illégal, ça doit être l’origine de sa vocation. Au final, il est devenu hyper réglo et, moi, je n’ai jamais tiré avec un pistolet, ce qui est assez rare pour un acteur.

Parlez-nous d’un partenaire de jeu indiscipliné.

Benoît Poelvoorde sur le tournage des Émotifs anonymes de Jean-Pierre Améris, il y a un peu plus de dix ans. Je me souviens qu’il disparaissait régulièrement pour boire des bières avec des potes à deux cents mètres ou à l’autre bout de la ville. Il faisait aussi des sketches pour tout le monde sur le plateau. Pendant que le réalisateur nous donnait des directions, il fermait tout doucement la vitre de la voiture où nous étions tous les deux installés et faisait comme si elle remontait indépendamment de son désir. Il pressait Améris : “Je suis désolé, dis- moi vite ce que tu as à me dire, je ne t’entends plus !” Il avait un côté sale gosse irrévérencieux parfois, mais toujours tellement drôle.

Début 2021, vous avez fait croire à une directrice de production que vous vouliez réaliser un film de super héros, Feuille Man, à l’occasion d’un canular sur YouTube avec McFly et Carlito qui a eu beaucoup de succès. Vous êtes plutôt blagueur au quotidien ?

Je me fais souvent passer pour un vendeur Orange ou une personne qui fait du démarchage professionnel au téléphone. Mes amis commencent à être de plus en plus suspicieux à mon égard. Mais le meilleur, c’est mon pote, l’acteur Jonathan Cohen. Au Conservatoire d’art dramatique, il appelait l’administration en imitant à la perfection la voix du régisseur général qui zozotait : “Faut me prendre tous les livres de Molière – sachant qu’il y en avait 500 tomes – et les amener à côté du toit.” Il faisait déplacer des bibliothèques entières, on en pleurait de rire. 

Dans Mascarade, c’est Martha (Isabelle Adjani), une ancienne gloire du cinéma qui déménage des meubles chez elle. La maison dans laquelle vous avez tourné sur la French Riviera est réellement somptueuse, non ?

Selon mes informations, elle doit valoir autour de 70 millions d’euros. Je ne sais même pas qui peut se payer ça ! Il y avait des pièces fermées à clé, c’était assez mystérieux, on n’a jamais su qui était le propriétaire et si elle était habitée. On nous disait qu’elle était en train d’être rachetée par des Russes. Sa piscine à débordement à flanc de falaise lui donnait un côté tragédie grecque, c’était presque irréel. Mais la demeure la plus folle que j’ai vue reste la villa Rocabella, à côté de Toulon, sur le tournage d’Un homme idéal. On la reconnaît dans un certain nombre de films à cause de ses immenses escaliers en marbre rose bonbon. C’était tellement hors normes que ça en devenait presque angoissant.

Autre chose qui pourrait vous tourmenter ?

Les énormes crocodiles en liberté qui venaient dormir juste en face de ma chambre d’hôtel pendant le tournage d’OSS 117. Alerte rouge en Afrique noire. Il y avait juste un filet qui leur expliquait que, de l’autre côté, c’était chez nous ! Également, l’anaconda qui vivait à trente centimètres du lit dans les parois en bois d’une maison qu’on avait louée lors d’un voyage en famille en Australie. À part ça, j’aime beaucoup les animaux. Mon chien s’appelle Neel, c’est un Rhodesian Ridgeback, une race qui a été créée pour chasser les lions. Un job pas si commun, il est aussi adorable qu’impressionnant.