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Robe ballon popeline de coton, chaussures plateforme cuir noir, ROCHAS. Crédit Photo: Fabioandcristian

Charles de Vilmorin, un Rochas pour Deux

Par LAURENT DOMBROWICZ, Photos FABIOANDCRISTIAN

Conversation entre Philippe Benacin, président de Interparfums, propriétaire de la marque Rochas, et Charles de Vilmorin, qui vient d’y signer sa première collection pour l’été 2022.

Si le directeur artistique d’une marque de luxe est celui qui prend habituellement la lumière, on sait désormais que les plus beaux succès reposent sur un travail d’équipe et plus particulièrement sur la synergie entre un dirigeant et un créatif. Le tandem Marco Bizzarri/Alessandro Michele qui œuvre chez Gucci en est un exemple criant. En choisissant le jeune Charles de Vilmorin, prince charmant de la mode française, pour donner un nouvel essor à Rochas, Philippe Benacin fait le pari d’une poésie moderne, aux accents surréalistes. Si la marque possède de nombreux codes et références liés à son histoire et à ses parfums qui rencontrent toujours un vif succès, son corpus mode reste à définir pour la jeune génération, avide d’une certaine immédiateté.

Philippe Benacin : Charles, on s’est connus au tout début du Covid grâce à Kappauf, en fait. Presque par hasard.

Charles de Vilmorin : Oui, c’est Kappauf qui nous a présentés. D’ailleurs, il a aussi été le premier, je pense, à me passer commande d’une pièce de ma marque, au tout tout début.

PB J’avais avancé sur le recrutement pour Rochas avec notre licencié italien. On avait une short list de cinq noms et le tien en est ressorti. De là, on a pu avancer très rapidement. La doudoune que tu avais faite pour Kappauf m’avait fortement impressionné, sans que je sache que c’était toi d’ailleurs.

CDV On le voit la porter dans les images du dernier défilé Rochas homme. Kappauf a eu un rôle important dans tout cela, puisque bien avant que je lance ma marque, j’ai fait un stage de quatre mois chez CitizenK, en tant qu’assistant styliste. C’était vraiment très intéressant ! Bien plus tard, quand il a vu certains de mes dessins et de mes posts sur Instagram, il m’a invité à déjeuner et m’a poussé à développer mon identité et à réaliser ces doudounes avec le motif cœur. Effectivement, il ne s’est pas trompé !

PB Des doudounes, on est rapidement arrivés à une première collection Rochas. On était très partants sur ce projet.

CDV Ça s’est fait sur quelques mois. Quand j’ai su que les équipes Rochas voulaient me rencontrer, j’ai été tout chamboulé. Une grosse pression. On m’a donné quinze jours pour présenter un dossier avec ma vision de la marque. Pas seulement des vêtements ou des collections mais aussi un univers de boutiques. On s’est tous vus ici, chez Interparfums et cela leur a plu.

PB Ce que tu faisais leur plaisait déjà avant !

CDV Je pense qu’ils voulaient surtout voir une interprétation de Rochas, différente de ma propre marque.

PB Ce début s’est concrétisé avec ce premier défilé successful il y a quelques semaines.

CDV La réaction de la presse s’est faite en deux temps. À chaud, je pense que certain(e)s ont dû être un peu surpris ou décontenancés, ne s’attendant pas à cela. Puis les articles suivants ont été très positifs. Au global, oui, la réaction de la presse a été très bonne.

PB Ce qui était important, c’est la fraîcheur apportée à Rochas. Maintenant, on va pouvoir mettre un coup d’accélérateur. La marque n’avait pas eu ce niveau d’originalité et d’attention depuis longtemps. Maintenant, on va devoir avancer sur le réseau, la distribution avec nos partenaires italiens. Et pour toi, une nouvelle collection.

CDV Oui, un premier défilé, c’est quelque chose de très excitant. Comme la première page d’un nouveau chapitre. L’histoire se met en place. À moi de les faire évoluer dans les prochaines saisons.

PB L’objectif était de (re)conquérir des points de vente qui avaient été perdus. Toucher une centaine de clients dans le monde. Il faut toujours deux ou trois saisons pour installer et cadrer les choses. Curieusement, pour moi qui viens de la parfumerie et pas de la mode, je les trouve plutôt moutonniers. Ils attendent que d’autres se mouillent pour prendre une décision. Si c’est trop novateur, ils ne prennent pas et si c’est trop classique, ils ne prennent pas non plus. Ils ont souvent de “bonnes raisons” pour ne pas prendre ou ne pas faire. En parfumerie, on est des bateaux qui avancent toutes voiles dehors, au maximum.

CDV Ce qui ne nous a pas empêchés de prendre des risques stylistiques pour cette première collection, avec un tournant radical. Les collections suivantes vont continuer et compléter cette histoire.

PB C’est ce que beaucoup attendent avant de s’engager plus fortement, disons. Il faut tout de même constater qu’il y a beaucoup de marques, beaucoup de créateurs et finalement un marché assez limité, à ce niveau de prix en tout cas. Quand je vois par exemple L’Éclaireur, que je connais bien, le nombre de marques qui y sont présentes et souvent dans des quantités vraiment minimes, je me dis que la quantité de travail fournie est énorme par rapport à cette présence en boutique.

CDV Pour cette première collection, je n’ai pas travaillé avec une thématique très précise. Je travaille comme si un film se déroulait dans ma tête. Je me suis replongé dans mes souvenirs d’enfance, chez mes grands-parents en particulier où il y avait des flacons de parfum Rochas. Ces images revenaient sans cesse. J’ai grandi dans une famille attachée à la mode et à un lifestyle très français. Le côté classique de Rochas, associé à ces souvenirs de famille, est à l’origine de ces motifs qui évoquent un peu des tapisseries. Puis est arrivée l’idée de feu. De feu intérieur. C’est plus une émotion qu’une inspiration.

PB C’était très poétique.

CDV C’est cette dimension que j’ai envie de continuer à alimenter dans les prochaines collections. On s’est permis des incursions un peu trash dans la première, mais c’est le côté romantique et très français que je vais mettre en avant dans la collection hiver 2022/2023. Je me rends compte d’ailleurs que c’est beaucoup plus facile de travailler sur une vraie collection d’hiver.

PB Oui, c’est certain, il y a plus de matière(s), plus de choix, plus de possibilités.

CDV Je reviens sur la question du genre, ou plutôt du non-genre. Sur les 30 passages du défilé, on avait quatre garçons. C’était important pour moi d’ouvrir ma vision à un public élargi. Aujourd’hui, on achète la mode autrement. J’ai fait porter une robe blanche à un garçon mais qui elle-même est construite sur une base de chemise d’homme. Il y avait des pièces réellement mixtes que moi, qui suis pourtant quelqu’un d’assez classique, je pourrais facilement porter. C’est l’avenir, de toute façon.