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Sean Suen © Luca Tombolini

PARIS MEN FASHION WEEK, QUAND LA MODE REPART DE ZERO

Par PAULINE MARIE MALIER

Le 18 janvier 2024 est un jeudi, le quatrième jour de la Fashion Week homme parisienne, et il fait froid. Pourtant, ce soir-là, dans le showroom parisien de Lazoschmidl, quelque part dans le Marais, un jeune homme dénudé danse seul, AirPods dans les oreilles, vêtu simplement d’une écharpe et d’un slip logoté. Découvert, on pourrait le penser vulnérable. En réalité, ce danseur d’un autre temps n’est autre que le visage de la collection amusante, enfantine et sensible présentée par la marque suédoise, dont une pièce en particulier attire l’attention : un body-gigoteuse qui nous ramène droit en enfance. Étonnant, direz-vous, de proposer une telle pièce pour un homme adulte. Pourtant, une lecture de type « philosophie de comptoir » sous-entendrait que la marque souhaitait nous ramener à l’âge du berceau. Comme si pour déconstruire les travers de nos sociétés, et réécrire une masculinité nouvelle, forte et consciente, il fallait consciemment revenir à la source. Avant que la société ne fasse de l’homme ce qu’il est. « To start from scratch », comme disent nos confrères anglo-saxons (repartir de zéro, en français).

« More skin, less bling » : quand masculinité et sensualité vont de pair

Si l’on ouvre – ou, soyons plus honnêtes, si l’on google – le dictionnaire Larousse à la page de la « masculinité », voici ce que l’on trouve : « Ensemble des comportements considérés comme caractéristiques du sexe masculin ». Dieu merci, cette Fashion Week aura eu le mérite d’exposer l’obsolescence de cette définition. Ou du moins l’importance de considérer que le champ des comportements considérés « comme caractéristiques du sexe masculin » doit être, au bas mot, élargi. L’homme, cette saison, déambule, danse et chaloupe, séduisant. Il s’amuse comme un enfant, retourne à ses jeunes années pour se reconstruire tel qu’il aurait pu être : fort et vulnérable à la fois. Conscient de lui-même et des autres, il affirme sa féminité, porte des sequins, d’esprit couture chez Dior, sur des pièces que l’on croirait chinées chez Amiri, en pull duveteux chez AMI, en broderie sur les jeans chez BlueMarble, sur les vestes chez Steven Passaro, en total look chez Masu. Cette saison, tout le monde est chic : la fourrure – ou fausse fourrure -, longtemps catégorisée comme l’apparat des riches femmes du 16e arrondissement de Paris ou autres sciuraglammilanaises, se décline à l’envi : en manteau long, silhouette homme fatal chez Vuitton, Jeanne Friot, ou KidSuper, sur les sacs et chaussures chez System ou Sean Suen. En transparence, les pièces dévoilent subtilement – ou non – la peau. Comme si pour repartir de zéro, il fallait afficher la sensualité de l’homme. Partout, le corps se dénude, les jambes se découvrent. Chez Loewe, la robe-manteau courte en peau verte, savamment fermée par un nœud collerette propose une version espiègle de l’homme contemporain, tout comme, d’ailleurs, le collant-chaussette de sport vu sur une autre silhouette de la collection drôle et savamment réalisée par J.W Anderson. La jupe – voire minijupe – se normalise, chez Marine Serre notamment. Mais c’est le label d’avant-garde EgonLab qui signe l’une des plus belles collections de la semaine, qui va le plus loin en étiquetant le torse nu de ses mannequins « 100% human ». Peut-être s’agit-il de signifier ici que sous le vêtement se trouve un corps dont beauté et sensualité seraient inégalables. 

Femme-homme, homme-femme, pour un vestiaire sans distinction 

Bien sûr, cela fait maintenant de nombreuses saisons que la mode ne s’embarrasse plus vraiment avec des limitations de genres considérées obsolètes. Mais cette saison semble aller encore plus loin, en niant l’idée même de la possibilité de deux vestiaires distincts. On compte sur les doigts d’une main les shows ayant fait défiler uniquement des hommes, même Louis Gabriel Nouchi a cédé et fini par ouvrir le casting de « Bel Ami » à des femmes. Le vestiaire mixte n’est donc plus réservé à une mode conceptuelle de niche, mais s’invite dans tous les registres : tailoring, denim, jupes, et mêmes robes (si l’on revient quelques jours en arrière chez Jordan Luca, Achilles Ion Gabriel ou SS. Daley en Italie) se portent sans distinction aucune. Les mannequins alternent des silhouettes similaires, coupées dans les mêmes proportions, comme chez Sankuanz, Sacai ou une fois de plus chez EgonLab avec des tops drapés aux tombés impeccablement précis. Chez Junya Watanabe, les mannequins sont certes tous hommes, mais défilent des silhouettes pouvant être portées par toutes et tous. L’homme s’amuse, s’assume, se plait. Et nous plait. Qu’il est inspirant d’ailleurs de voir la manière dont les créateurs trouvent en cette vision non binaire un terrain de jeu plus large et intéressant encore. Les collections, si elles ne suivent pas toutes une ligne directrice « quiet luxury » très présente à Milan (cf. Gucci), ne tombent pas non plus cette saison dans le bling-bling. Oui, cette Fashion Week déconstruit. Oui, elle décomplexe et réécrit dans la sobriété l’Histoire. Et c’est peut-être là qu’elle est particulièrement intéressante. Elle n’est ni grandiose ni de l’ordre du spectacle. Elle soulève les questions sans headline ou clickbait. Elle suggère et impose. La société telle que nous la voulons s’émancipera des « attendus ». Est homme qui le souhaite, comme iel le souhaite. Est femme qui le souhaite. Comme iel le souhaite. Les classiques sont réinterprétés pour tous et l’absence de grandiloquence renforce le message passé en fil rouge : le futur sera celui qui défile ici, qualitatif et émancipé des carcans construits au cours de nos Histoires. 

Alors la question que l’on peut se poser après cette semaine, c’est celle très terre-à-terre de la logique des Fashion Weeks. Que nous racontera dans un mois la semaine de la mode femme ? Si les buyers ont déjà tout acheté à l’homme, comment s’organiseront les calendriers dans le futur. Si Londres a fusionné, difficile d’en faire autant à Paris où défilent un nombre impressionnant de marques. À suivre…